Théorie des jeux

  Des amis me demandent souvent où je trouve l’énergie de sortir autant ! (bon, en réalité, juste le samedi soir ou presque, mais j’en parle beaucoup sur les réseaux sociaux ^^)

– La première raison, bien sûr, c’est parce que cela me plaît beaucoup, passionnément, à la folie ; j’ai déjà décrit tout ça par le menu dans ce blog ! J’adore faire la fête, dans des soirées avec dress code surtout : fetish, gothiques… et des jeux. Et dès que l’on a une passion, on cherche à l’assouvir le plus possible, que ce soit la course à pied, le dessin, un fétichisme…
– Une autre raison est plus ancienne. Je pense que je comble un manque, un regret, car je ne sortais pas, jeune ; j’ai fait autre chose ! Pourtant, j’aimais déjà beaucoup danser, j’attendais avec impatience les rares occasions : réveillons, galas de fac, mariages… je m’étais même inscrite à un cours de rocks (à six temps), mais j’ai vite lâché, fatiguée par les rythmes trépidants des vieux rocks.
Étudiante, quand tout le monde jouait aux jeux de l’amour et du hasard lors des soirées dansantes, moi je jouais aussi, mais à des jeux de société (l’enfer, quel stress, des règles du jeux interminables et incompréhensibles, et, clairement, je manquais de qualités de stratège et de dons en calculs d’optimisation – j’ai bien souffert !).

Je jouais surtout aux jeux de rôles et je les adorais ! Se couler dans la peau d’une magicienne ou d’une voleuse, et vivre mille aventures avec d’autres passionnés soudés dans l’adversité. Nous restions assis autour d’une table des nuits entières à jeter des dés et griffonner dans nos cahiers (surtout moi) – je ne pourrais plus maintenant, trop la bougeotte.
J’ai vécu des nuits fantastiques : le décor s’effaçait, remplacé par celui décrit par le maître du jeu, merveilleux conteur qui donnait vie à des mondes que n’auraient pas renié Le Seigneur des anneaux. Si bon conteur que ses récits se superposaient à la réalité, la remplaçaient, comme un filtre d’illusion. Je ne voyais plus ma bande d’amis, mais des guerriers, des clercs, des rangers, des paladins… des nains grognons, des elfes dédaigneux, et des humains bagarreurs. Je les voyais vraiment ! Un peu comme lorsqu’on se plonge dans un roman, et que des images flambent dans nos pensées. Le pouvoir de l’imagination ! Et là, il ne s’agissait pas seulement d’ « images » dans ma tête, je « vivais » au milieu d’un film 3D, une sorte de réalité virtuelle  imaginée, bientôt assimilé au réel… on peut être très accro à cette puissante magie, lancée grâce au pouvoir du conteur et la folie collective de l’équipe d’aventuriers qui y croyaient tous dur comme fer.
Je suis tombée « dedans » jusqu’au cou, engloutie, perdue pour tout autre loisir le temps des études, et un peu après aussi.
Je me sentais proche comme jamais de mes amis joueurs, eux seuls me comprenaient vraiment (quand j’en parlais à mes autres amis non joueurs, ils plissaient le nez sans comprendre, sans même faire l’effort – un peu comme lorsque je parle de BDSM à des purs vanille ^^). On partait en vacances au ski ensemble (ski toute la journée, jeu de rôles toute la soirée), en voyage (visites toute la journée, jeux de rôles le soir), dans des maisons de campagne (jeux de rôles jours et nuits.) … Une vie amicale fusionnelle, en symbiose, où seuls comptaient nos personnages, et l’histoire que nous vivions ensemble.
Nous ne pensions qu’à ça, bien plus qu’à la vraie vie. Nous ne vivions que pour les jeux de rôles, à l’heure où d’autres ne pensent qu’aux jeux de séduction, et aux études aussi. J’ai vu certains de mes amis planter leurs années de fac faute de travail, trop absorbés par les jeux — de mon côté, aucun risque, je redoutais trop les mauvaises notes ^^.
Nous étions asexuels, totalement (même si au fil des années, j’ai craqué sur pas mal de joueurs en secret, de façon purement platonique, transcendant mes coups de foudres dans le jeu). J’étais la seule fille au milieu de garçons, mais ils ne me voyaient pas comme une fille, à de rares exceptions, mais comme un pote de plus. Jamais ou presque ils ne s’intéressèrent à moi en tant que femme. J’en ai déduit que je n’étais pas jolie, que je ne plaisais pas aux garçons, car mes amies, elles, enchaînaient les petits copains et les love story. Je m’en suis accomodée, je n’étais pas étonnée : je ne faisais aucun effort pour suivre la mode et me maquiller (ça n’a pas beaucoup changé )… je lisais, je fantasmais, je jouais, je me déguisais et poussais les autres à le faire, (déjà le goût du dress code !) et cela suffisait à mon bonheur.
J’adorais frémir, avoir peur, ressentir l’adrénaline du jeu et mon cœur s’accélérer. Et surtout, j’adorais nos fous rires, on riait à en rouler sous la table, longtemps, en se tenant le ventre tellement on avait mal, et ça ne s’arrêtait jamais. Des fous rires d’anthologie comme je n’en ai jamais revécu depuis ! Et je pensais sincèrement que ces fous rires valaient mille fois tous les orgasmes du monde décrits par les magazines féminins (c’était avant internet ^^), alors ça ne me gênait pas du tout de rester sur le bas-côté de la vie sentimentale (aujourd’hui, j’aurais un autre discours 😉). D’ailleurs, je n’étais pas la seule, tous mes amis joueurs étaient des éternels célibataires… on était heureux et comblés comme ça.
Et puis certains amis ont déménagé, au fil des boulots trouvés à la fin des études. Ils ont arrêté les jeux, ils se sont rendu compte que les filles existaient (entre autres), ils se sont en quelque sorte « réveillés » et ont enfin commencé leur vie sentimentale, voire sexuelle.
— Mais d’autres ont continué de jouer, et sont restés geek et célibataires aujourd’hui encore, vivant toujours dans ce monde parallèle des jeux endormant leur libido, car les aventures imaginaires se révélent tellement plus étincelantes que tout ce qu’ils peuvent vivre dans la réalité. Ils sont heureux ainsi, dévouant tous leurs loisirs aux jeux, n’ayant pas changé d’un iota depuis nos études.
Je me suis mise à travailler moi aussi, j’ai arrêté les jeux de rôles en déménageant loin. Il était déjà trop tard pour aller danser en boîte (pensais-je), je ne me serais pas sentie à ma place au milieu d’étudiants plus jeunes que moi (cette peur du regard des autres, quel fléau ! Je m’en débarasse enfin ! Presque…). D’autres loisirs ont pris le relais, jusqu’en 2015 : boum ! Découverte de la Nuit Dèmonia, qui a chamboulé tous mes loisirs, voire plus, tant j’ai aimé l’ambiance fetish et danser !
Donc, voilà pourquoi je profite autant des soirées aujourd’hui : je me rattrape de les avoir manquées pendant ma jeunesse perdue. Et mon enthousiasme est intact ! J’aime toujours les jeux de rôles, mais réels cette fois, avec de vraies rencontres, des interactions, qui ne sont pas seulement le fruit de mon imagination et celle du maître de jeu.

En conclusion, l’univers des jeux de rôles est si riche qu’il peut combler nos besoins affectifs, nos besoins de réalisation, qu’il remplace la vie même, nous offrant une vie imaginaire qui se superpose comme un voile sur la réalité, avec plus d’éclat, d’intensité, de joies que la vraie vie, bien grise à côté, et reléguée dans l’ombre. — c’est difficile à comprendre pour ceux et celles qui ne jouent pas et n’ont pas joué peut-être, cette immersion absolue et parfois autodesctructrice, cette négation de la vie réelle au profit de celle qui prend vie grâce à notre imagination.
Une vie imaginaire qui me laisse des souvenirs aussi réels que ma vraie vie, le même genre d’images en tête.

L’une de mes bandes d’amis de joueurs de l’époque s’est reformée, rejoue à nouveau. Le maître du jeu m’a proposé de les rejoindre ; promis on sera plus raisonnable que dans notre jeunesse, on jouera seulement en soirée, pas toute la nuit, et pas plus d’une fois par mois. J’ai d’abord accepté, en souvenir du passé, j’ai commencé à préparer mon personnage d’illusionniste, avant de me raviser. On ne peut pas revivre le passé, et je préfère les jeux réels à présent : la chair tiède, le souffle, le sang qui pulse… J’ai changé d’avis : rien ne vaut le réel. Le réel augmenté de lumières, de musique, de beauté, de brillant, mais le réel quand même.

[ EDIT ] Je viens d’apprendre, après avoir écrit ce billet, que la capacité à former des images mentales criantes de vérité au point de se substituer au réel s’appelle « l’hyperphantasie », en opposition avec « l’aphantisie », qui est l’incapacité à générer des images mentales, même en lisant un livre, même en se remémorant des souvenirs (je me sens désolée pour les personnes ayant ce trouble, moi qui aime invoquer les visages de ma famille à plusieurs époques, ou me souvenir d’anciennes maison, de voyages… L’avantage de l’hyperfantasie : s’immerger pleinement dans des romans, conserver des souvenirs précis comme des photographies – ce qui n’est pas synonyme de bonne mémoire hélas, en tout cas chez moi ^^ – , mais le prix à payer est élevé : la tentation de la nostalgie d’une part, et le risque de vivre dans ses rêves, de percevoir la réalité de façon floue, brouillée, en arrière plan de nos imagination.

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