La semaine sainte et ses nombreuses messes, vêpres, cérémonies, rituels étranges venus d’un autre âge, m’a inspirée une petite histoire…
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La jeune fille attend sur un siège, le coeur battant. Elle fait partie de la chorale, et a été choisie pour l’accomplissement du rituel. Une musique lugubre retentit, vibre jusque dans son ventre et lui donne la chair de poule. C’est maintenant !
Il s’avance vers elle d’un pas majestueux devant l’assistance prosternée, consciente de la solennité du moment. Deux serviteurs l’accompagnent, des jeunes garçons portant ses accessoires.
ll s’agenouille devant elle, saisit son pied droit délicatement, et dénoue avec des gestes malhabiles les lacets de sa bottine – il n’a pas l’habitude. Il fait glisser le bas et s’empare du pied pâle avec émotion ; un pied minuscule, frémissant dans sa main, glacé. Il règne un froid de tombeau en ces lieux, le printemps qui explose à l’extérieur ne réussit pas à percer les pierres moyenâgeuses. Il le réchauffe comme il peut entre ses mains, il a l’impression de ranimer un oiseau gelé. Il adresse un signe de tête à l’un de ses servants qui dépose aussitôt une bassine en argent emplie d’eau claire, avant de s’incliner devant le maître de cérémonie. Sans un regard pour son serviteur, il garde les yeux rivés sur ce pied, l’admirant comme s’il s’agissait d’une oeuvre d’art. Il le plonge dans l’eau tiède, le malaxe, promenant ses doigts sur ses courbes, avant de prendre la serviette que lui tend le deuxième garçon. Il admire un instant le pied ruisselant de gouttelettes d’eau miroitantes, et entreprend de le sécher avec précaution, en extase devant cette création divine.
La musique mystique les a transportés ailleurs, les parfums de cire chaude leur tournent la tête. Le temps est suspendu, la jeune fille garde les yeux fermés. Il a oublié sa présence, toute son attention se focalise sur son pied, il le masse encore, le tamponne doucement avec le linge – il est déjà bien sec séché pourtant. Les lumières changeantes, les ombres projetées par la magie des bougies sur la peau fine de la cheville, les ongles comme des coquillages, vernis de rose brillant, le creux de son pied, les adorables orteils… tout le fascine. Il doit se retenir de les humer, de les presser contre des lèvres. La jeune fille retient son souffle, à l’écoute de ses sensations. Elle est très chatouilleuse en général, mais pas cette fois. Ces effleurements, ces massages lents, en douceur, lui procurent un merveilleux bien-être. Elle laisse échapper un gémissement de plaisir, heureusement couvert par l’orgue. Mais son masseur l’a entendu, et cette petite plainte de satisfaction lui réchauffe le cœur.
La musique s’éteint soudain et laisse place à un silence assourdissant. Le prêtre reprend ses esprits, se redresse de toute sa hauteur ; qu’est-ce qu’il lui arrive ! C’est la première fois qu’il accomplit ce rituel, un rituel destiné à faire preuve d’humilité à l’instar du christ, et le voilà bouleversé. Il n’a même pas eu le temps de s’occuper du pied gauche, entièrement absorbé dans la contemplation du droit, au point d’en oublier le temps. La jeune fille rougissante rejoint la chorale tête baissée, elle se retient de courir, elle sent tous les regards braqués sur elle. Les paroissiens, gênés sans trop savoir pourquoi, s’agitent sur leurs chaises. Étrange rituel du lavement des pieds ! D’une sensualité troublante…
Le prêtre s’éponge le front, la messe doit se poursuivre, ses fidèles le fixent avec étonnement. Bientôt, ils vont s’inquiéter, certains chuchotent déjà entre eux. Il rassemble ses idées, ouvre son grand livre au hasard. Où en était-on déjà ? L’image du fin pied blanc s’impose, il ne peut penser à rien d’autre ; comme il aurait aimé s’occuper de l’autre pied aussi, comme il doit être froid, triste d’avoir été délaissé… Diligent, son petit servant de messe tourne les pages pour lui et pointe du doigt le passage. Ah oui, le Sanctus ! L’orgue pousse sa première note sinistre, le faisant vibrer des pieds à la tête et le ramenant à son devoir. Il entonne à sa suite, Sanctus, Sanctus. Les fidèle anonnent à sa suite, soulagés.
Il prononce les phrases mécaniquement, il est en pilotage automatique, ses pensées s’accrochent au pied délicat de la jeune fille… C’est une révélation ! Il a trouvé sa place sur terre, une place humble, à genoux : adorateur de pieds.
Dieu ne pourra lui en vouloir de les vénérer, lui qui a créé ces merveilles !
La seconde sculpture est de Philip Moerman, la première je ne sais pas (je la crédite ou la retire sur simple demande)