La visite d’une église m’a donné envie d’écrire la suite de Pensées impures, mais à la troisième personne cette fois.
– Quand j’écris à la première personne, mes chers lecteurs pensent que je leur livre mon journal intime 😉 (pas encore)
Un jour, ses manoeuvres dignes d’un Sioux sur le sentier de la guerre sont enfin couronnées de succès !
Après de nombreuses tentatives ratées qui ne font que renforcer sa détermination, elles réussit ce dimanche-là à se faufiler habilement parmi les fidèles recueillis, et se retrouve à côté de lui.
Elle met un moment à calmer les battements de son coeur, n’osant croire à son bonheur. Elle se trouve tout proche de lui, à le toucher ! D’ailleurs, leurs manteaux, eux, se touchent déjà, c’est de bon augure. Tant de messes ennuyeuses, séparée de lui par des importuns ignorant les affres de son coeur ! Mais cette fois, enfin, elle est à côté de lui, et ne se laissera pas déloger.
Elle ferme les yeux, bercée par sa voix, avant d’oser chanter à son tour. Lui chante toujours merveilleusement, leurs voix se marient à la perfection, se caressent, se mêlent, comme le feront leurs corps un jour, qui sait. Elle le veut de toutes ses forces ! Tous les signes convergent, son rêve se réalisera bientôt, elle n’a aucun doute. Leurs bras s’effleurent déjà, leurs cuisses se frôlent, et son cœur s’enflamme, comme le sien sûrement. Ces contacts ne peuvent être le fruit du hasard, mais le résultat d’un lent et patient rapprochement.
La vision du christ en croix ajoute à son émoi, son corps souffrant, transpercé, supplicié, attise son désir, au lieu de l’horrifier. Tout dans cette église invite au fantasme, aux débordements des sens. Ce confessionnal d’antan pourrait offrir un abri à leurs amours interdites… et cet escalier de pierre en colimaçon, où mène-t-il ? Peut-être vers une pièce secrète oubliée de tous. Il y aussi le baptistère situé dans les fondations, une cave inhospitalière, froide, humide ; ils y seraient tranquilles.
C’est certain, il l’a remarquée, il le lui prouve de sa voix, de ses attouchements discrets, lui témoignant son intérêt, son attirance.
Elle épie chacun de ses gestes du coin de l’œil, reste suspendue à son souffle, aux intonations de sa voix. Tiens, il note quelque chose sur un papier… Son numéro de téléphone sûrement, il va le lui glisser dans la main, dans son sac. Son numéro assorti de mots doux, ça ne peut être que ça ! Elle sourit toute seule, impatiente, son cœur bat la chamade avant de s’arrêter brusquement. Il a renoncé, il fourre le papier dans sa poche, trop timide sans doute pour se déclarer si vite.
La messe est terminée, il se lève. Elle lui emboîte le pas, et profite de la cohue de la foule se dirigeant vers la sortie pour se presser contre son dos. Au moment de sortir ses gants de sa poche, il fait tomber son papier sur le sol, sans y prendre garde. Vite, elle se penche pour le ramasser, plus éperdue que jamais, et le lit comme on se jette d’un précipice :
Je m’abandonne à toi
Elle veut y voir un sens caché, un message à son intention, mais doit se rendre à l’évidence, il s’agit des paroles du chant de communion. Des paroles qui l’ont troublée alors que leurs voix s’envolaient ensemble vers le septième ciel ! Des paroles si fortes, écrites rien que pour eux, pour unir leurs âmes transportées d’allégresse. Comme elle aurait voulu serrer fort sa main en chantant !
Je m’abandonne à Toi
Fais de moi ce qu’il Te plaira
Quoi que tu fasses je Te remercie
Je suis prêt à tout
J’accepte tout
En Tes mains je mets mon esprit
Je Te le donne le cœur plein d’amour
Je n’ai qu’un désir :
T’appartenir
Sûrement veut-il les adapter, les réécrire pour elle, en une déclaration passionnée…
Elle refuse d’écouter ce que sa raison lui souffle, ce ne sont que des notes prises à la volée, simplement pour retrouver ce chant sur internet. Quelle déception, elle chasse aussitôt cette pensée ; il s’intéresse à elle, il est sur le point de l’aimer, s’il ne l’aime déjà, elle en est certaine ! Son grand sourire au moment de lui serrer la main, lors de « la paix du christ », quand ils peuvent enfin se regarder, en est la preuve ! Sa poignée de main un peu trop chaleureuse aussi, et, surtout, ses paroles prononcées d’une voix affectueuse « Oh, mais vos mains sont glacées ! ». Il les a pétrit entre les siennes un instant, tentant de leur communiquer un peu de chaleur, en vain, mais réchauffant son coeur. Elle ne sentait plus le froid, noyée dans ses yeux plein de bonté. Elle veut y voir plus, de la tendresse, oui, car il a flashé sur elle, elle n’a aucun doute. Il a relâché ses mains, à regret sans doute, appelé par les mains tendues de ses pieuses voisines, impatientes de goûter elles aussi à la pression de ses mains chaudes. Les garces.
Elle relève les yeux, et se maudit, il a disparu dans la foule. Elle ne l’a quitté des yeux qu’une seconde, et c’est trop tard, impossible de le suivre, de découvrir son adresse, d’en apprendre un peu plus sur lui.
Dimanche prochain, elle s’arrangera pour être à nouveau à côté de lui pendant la messe, elle jouera des coudes s’il le faut, demandant humblement pardon. Cette fois, il osera lui écrire un mot, et s’il se montre à nouveau timide, elle en glissera un dans sa poche. Elle le compose déjà dans ses pensées.
Contacte moi,
Je m’abandonnerai à toi,
Je suis prête à tout,
Signé : ta voisine alto.
Suivi de son numéro de téléphone.
Photo : montage de Jurg Roessen à partir de la Cathédrale St Etienne de Bourges
4 commentaires
Si l’Eglise n’avait pas, pendant plus de deux mille ans tant bridé notre sexualité, ne l’avait pas tant surveillée, encadrée, frustrée, diabolisée, qui sait où nous en serions aujourd’hui ? Qui sait si nous serions toujours autant obsédés ? Amen
Oui, l’interdit n’a fait qu’exciter notre curiosité et notre désir !
Merci PelMel pour ce compliment ! Je me régale de tes textes moi aussi
Je m’incline irréverencieusement devant ce texte empli de malices. Merci. Bravo