Une histoire horrible pour fêter Halloween 😉
– Un peu en retard, mais hier soir je suis allée danser au Bal des vampires, déguisée en terrible reine de la nuit, récit à venir, peut-être…
Chaque année, Clara s’organise pour partir quelques jours à l’étranger en famille, histoire de se dépayser, et de se cultiver, éventuellement.
Cette fois, ils ont choisi Prague ! Son histoire riche et mouvementée, son romantisme… Mais la fièvre de la découverte s’émousse vite. Le matin, il devient de plus en plus difficile de motiver sa tribu à visiter un château ou une église baroque.
Finalement, ça l’arrange ! Clara laisse ses enfants et son mari tranquilles devant leurs écrans ou au fond de leur lit, et profite de sa liberté. Le matin lui appartient, à peine son café avalé, elle ne pense qu’à sortir, arpenter la ville encore embrumée et déserte. Les musées ne sont pas encore ouverts en cette heure matinale, mais la ville est si belle, un véritable musée à ciel ouvert ! Il suffit de lever le nez pour découvrir de magnifiques immeubles art nouveau surplombés de statues, ils sont tous décorés, colorés, appétissants comme des pâtisseries crémeuses !
Elle s’arrête le temps d’un café en terrasse, flâne dans les boutiques de souvenirs, visite les musées qui ouvrent tout juste et n’intéressent qu’elle, comme le musée des Sex machines hier…
Ce matin, ce sera le musée des instruments de tortures médiévaux ! Clara a un peu honte de sa curiosité mal placée, mais se trouve des excuses : elle a besoin de se documenter pour écrire ses histoires… Et puis, on ne vit pas que d’art, de beauté et de littérature ! Le musée érotique s’est révélé tout à fait réjouissant, elle a appris plein de choses, elle n’en attend pas moins du musée de la torture, dans un autre style bien sûr, même si ces deux extrêmes se rejoignent parfois, quand la douleur suscite du plaisir… Il ne sera sans doute pas question de cela, mais plutôt de punitions, d’interrogatoires musclés, d’inquisition…
Clara arrive en avance pour repérer les lieux, et s’étonne de trouver la porte entrouverte. Une femme se tient devant l’entrée, elle lui fait signe de venir en lui adressant un grand sourire. Clara se demande si la visite n’a pas déjà commencé, cette dame ressemble à une sorcière avec son sourire crispé. Elle porte d’ailleurs une longue robe noire, et un grand chapeau pointu. Bientôt Halloween !
Clara hésite.
— Le musée est ouvert ?
— Oui, bienvenue ! La visite se déroule en bas, attention à l’escalier…
Des marches étroites mènent à de belles caves voutées, vaguement éclairées de fausses torches aux flammes mouvantes. Clara réalise tout de suite qu’elle se trouve dans une sorte d’attrape-touristes : tout est fait pour donner des émotions à bon compte, effrayer au lieu d’informer. Une fois ses yeux accoutumés à la pénombre, elle distingue des piloris, des croix, des cages de fer, des roues…. Des mannequins en haillons, des squelettes y sont positionnés, pour démontrer l’usage de l’instrument de torture, sans doute. Clara frissonne, ils en ont rajouté dans les postures horribles, le sang dégouline sur les visages tordus de douleur, le tout dans une surenchère de bruitages qui lui vrillent les tympans : plaintes, gémissements, cris, supplications, bruit de faux qui fendent l’air, de guillotine qui s’abat, grincements de rouages…
Soudain, Clara sursaute, un mannequin vient de bouger ! Son cœur s’arrête un instant, avant qu’elle ne respire, soulagée : un automate… bientôt, ils se mettent tous en mouvement, les têtes coincées dans les piloris s’agitent, la guillotine tranche, les roues tournent, la vierge de Nuremberg s’ouvre et se referme tandis que son occupant se tord de souffrance ; une sinistre mise en scène prend vie sous ses yeux. Elle se trouve dans une sorte d’attraction digne de la foire du trône ! Clara voudrait en rire, mais elle se sent oppressée, elle a l’impression d’entendre des pas derrière elle, le bruit d’une respiration. Elle a beau se retourner, ce ne sont que des mannequins grimaçant, pleurant sans fin.
Il lui tarde de sortir, de retrouver la lumière du soleil, l’animation des rues. Elle accélère, sans prêter attention aux objets exposés. Ils lui font tous horreur, outils variés pour écorcher, arracher ci ou ça, s’enfoncer ici ou là, masques de fer… Elle s’empresse vers les panneaux « sortie », dans ce labyrinthe de caves qui n’en finit plus.
La dernière salle, enfin. On propose au visiteur de glisser sa tête dans un pilori pour une photo souvenir, au côté d’un bourreau de cire encapuchonné brandissant sa hache. Sur le mur d’en face, un panneau se veut encourageant « la photo est à récupérer à la sortie ! ». Très peu pour elle, elle préfère filer vers l’escalier sans s’attarder plus longtemps.
Une poigne de fer l’attrape par le bras, Clara hurle, terrorisée, elle tente de se dégager. Le bourreau la plaque contre son torse.
— ça ne sert à rien de gigoter ma petite dame ! J’ai toujours rêvé de tester ma collection d’accessoires sur une touriste isolée… mais elles sont toujours en groupe ou en famille ces agnelles…
— Laissez-moi partir ! Mon mari doit venir me chercher !
— Ah oui ? Permettez-moi d’en douter si vous êtes seule… Il ne doit même pas savoir que vous aviez l’intention de venir ici ce matin, je me trompe ? Vous auriez eu honte d’avouer vos penchants morbides, avouez… Je vais vous combler moi, vous pouvez me croire !
Il se met à rire à gorge déployée, toute sa bedaine tressaute, et ses bras se relâchent un instant autour de la poitrine de Clara. Elle en profite pour se retourner et lui donner un bon coup de genou à l’entrejambes. Le bourreau se plie en deux, saisi de douleur, Clara détale vers la sortie.
— Attendez ! C’était pour rire ! Vous n’avez pas lu notre brochure ? « Expérience immersive » ! C’est prévu dans la visite, revenez !
Elle s’enfuit sans répondre, pressée de quitter ces caves maudites. Elle aurait préféré vivre ce genre d’expérience la veille, dans le musée érotique, elle aurait joui qui sait, avec ces vibromasseurs des années 20, profilés comme des perceuses, ou cet espèce de sèche-cheveux, l’ancêtre du Womaniser… Tiens, si elle allait le visiter à nouveau, voilà qui lui changerait les idées ! Elle n’a pas eu le temps de regarder les films X du début du 20e siècle.
Dans son donjon, le bourreau soupire, avant de reprendre espoir. A l’approche d’Halloween, des visiteuses en mal de frissons devraient s’aventurer dans son musée. Des jeunes filles venues entre copines, plus facilement impressionnables que cette bourgeoise déchaînée ! Cette fois, il les mettra en cage directement, on oublie la visite animée, on passe directement aux exercices pratiques et expérimentations in vivo.