Un lecteur m’a envoyé une photo de son poste de « travail », et j’ai écrit une petite histoire érotico-financière 😉
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Il travaille désormais dans l’atmosphère feutrée de son appartement, loin de l’effervescence de la salle de marché, des coups de fils fébriles, des exclamations de joie ou de déception de ses collègues aux dents longues. Le télétravail ! Le maître-mot depuis plus d’un an qui les cloue chez eux, séparés les uns des autres. Il y a des avantages : son stress a chuté d’un cran loin de la fièvre de leur open space et il peut s’adonner à quelques coupables activités en parallèle.
Il a toujours su faire plusieurs choses en même temps, il achète et vend sans hésitation des actions dans tous les domaines, tout en suivant l’actualité au plus près. Il réfléchit à la vitesse de la lumière, aussi vite que les transactions financières à haute fréquence, un don qui lui permet de rivaliser avec les algorithmes des banques, et lui offre aussi quelques libertés, surtout depuis qu’il travaille chez lui : il garde un œil sur les cours du CAC 40 et sur les notes qui tombent en pluie, tout en se délectant de plaisants récits, grâce à son autre écran. Il navigue avec aisance, effectue le grand écart entre ses deux centres d’intérêt que tout oppose : le cours des actions et l’érotisme.
Il jongle de ses loisirs à son travail, de ses fantasmes à la vie réelle ; il brasse des millions et des rêves, il gère des fortunes et s’intéresse à l’intime, au secret. Son « double » travaille en pilotage automatique, en « tâche de fond », machinalement, quand lui reste rivé aux réseaux sociaux, complètement absorbé par les confidences érotiques qui s’étalent à longueur de publications, fasciné par l’intrépidité et l’exhibitionnisme des uns et des autres. Il se promène en quête de frissons, de sensualité, d’émotions. Il est servi ! Il vogue de sites en sites, suit des liens au hasard, et finit par tomber, au hasard de ses pérégrinations, sur le blog d’une fanstameuse rêveuse.
Les cours de bourse montent encore, comme son excitation. Il se plonge à corps perdu dans ses textes, de plus en plus absorbé et émoustillé. Charmé, il lui envoie une photo de son poste de travail, pour la faire sourire. Et oui, on peut être banquier et aimer la sensualité, éprouver des désirs, ce n’est pas antinomique.
Il se reprend, saisi d’un pressentiment, et vérifie ses dernières opérations. Il sursaute, choqué, il vient d’investir dans des sites de rencontres, des sociétés de sextoys, des clubs libertins… tout le business du sexe, tout ce qui est possible de faire légalement, il y a mis des sommes folles. Son cœur s’arrête un instant, qu’est-ce qu’il lui a pris d’investir aussi massivement dans ces actifs douteux, ses clients vont le tuer !
Ou son patron. Il ne tarde pas à l’appeler et l’invective.
— C’est n’importe quoi ! Tu joues à quoi, là ?
Il bredouille des explications foireuses sur l’essor de ce marché grâce aux confinements, une chance à saisir, avant de pâlir de plus belle en jetant un coup d’œil à l’écran voisin.
La blogueuse vient de publier la photo qu’il lui a envoyée, il se retrouve à la une de son blog, et bientôt sur tous les réseaux sociaux.
Photo : un lecteur anonyme, avec son aimable autorisation