Souffrances salutaires

Variations et divagations autour des mêmes thèmes : BDSM, tendances sacrificielles, autodestruction, masochisme, catharsis…

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Il l’a quittée, et son absence est insupportable. Cela dure depuis des jours et des jours, sans espoir de rémission. Elle n’arrive plus à respirer, un trou béant s’est creusé dans son cœur et ne cesse de grandir, des pensées obsédantes tournent en boucle dans ses pensées. Elle voudrait hurler, se rouler par terre pour tenter d’éteindre cette douleur, ce feu qui l’incendie des pieds à la tête, un feu dévastateur… Elle s’enfonce dans la nuit qu’elle tisse autour d’elle, un cocon étouffant qui l’enferme et la paralyse. Elle se recroqueville sur son lit, le cœur broyé par le manque, oppressé par une chape de plomb, avec cette sensation de vide immense dans lequel elle se dissout.
Elle réussit à se secouer, et s’habille, comme une automate. Des dessous sexy, une robe osée qui dévoile tout… Elle va se jeter dans la gueule du loup, traiter le mal par le mâle, comme disent les dark romances ! Le cœur n’y est pas mais elle ne l’écoute pas, et l’injurie de la faire souffrir autant. Son corps prend les commandes et il veut en découdre, avide de sacrifice et d’auto-destruction.
Elle se dirige vers une soirée fetish-BDSM, appelant de tous ses vœux coups de fouet, sévices variés, meurtrissures, qui la soulageront, peut-être.

Les participants sont là pour faire la fête, s’étourdir de musique, oublier leur quotidien terne, s’amuser… et se donner du plaisir aussi, un plaisir augmenté par mille pratiques subversives auxquelles ils s’adonnent sans jugement.
Elle rêve de s’offrir en pâture, elle voudrait être attrapée tout de suite, saccagée, souillée, piétinée, mais la réalité, ce n’est pas comme dans les romans qu’elle affectionne. Certes, il s’agit bien d’une soirée où l’on aime se faire mal, mais la bienveillance, l’amitié, et même l’affection baignent les lieux… On l’entoure, on la couvre de paroles réconfortantes, consolatrices, c’est gentil mais elle ne vient pas pour être consolée ni réconfortée. Elle vient pour anéantir la souffrance de son cœur, l’anesthésier un instant, peu importe les moyens.
Vite, s’approcher au plus près du DJ, se noyer dans la musique techno, ne plus parler, tenter de s’évader par le pouvoir de la musique, danser jusqu’à l’épuisement, se détacher de son corps… Elle vole de bras en bras, sans jamais s’attarder, lassée à peine conquise, jusqu’à lui, un ami dominant. Il lui a toujours plu, c’est inexplicable… un charme envoûtant qui se dégage de lui. Son allure, son sourire, son regard, amical et plein d’assurance. Ils se connaissent bien, et se rapproche. Elle est prise d’une envie irrésistible de sentir son emprise, de se livrer. Il pose sa main sur sa nuque, appuie, et ce poids l’allège instantanément… Elle gémit, ferme les yeux, et il s’enhardit, devinant son abandon. Il l’empoigne fort, tord ses chairs entre ses mains, la mordille avant de la mordre à pleines dents. Elle gémit, la douleur de son corps se superpose à la douleur de son cœur, des souffrances délicieuses, passagères, qui effacent enfin son chagrin… Encore ! Il l’attire contre lui, l’étrangle au creux de son coude, de ses deux mains, plaque sa main sur sa bouche… Elle qui ne respire plus depuis des jours, enfin, elle ne respire plus pour de bon. Elle se laisse couler, pour mieux renaître, ressusciter, plus forte, délestée de sa tristesse. C’est si bon de ne plus respirer, de sombrer… salvateur !

— Tu veux me suivre dans un coin sombre ?
Elle hoche la tête, incapable de parler. Elle veut encore ses mains sur sa bouche, son nez… mais il a d’autres envies. Il prend sa main, la serre fort, et fend la foule des danseurs en direction du donjon installé en contrebas.
— Installe-toi à califourchon sur ce banc !
Elle enlève sa robe pour lui offrir sa peau ; elle serait prête à se mettre toute nue sur son ordre, mais il ne le lui demande pas. Il griffe tout son corps, la mord à nouveau, n’épargnant aucun endroit sensible, il tord ses cheveux, les tire pour basculer sa tête en arrière. Elle lui offre sa gorge, ses lèvres… Il l’embrasse parfois, avec une douceur insupportable qui contraste avec ses chairs froissées entre ses mains… Soudain, il dégaine son couteau. Elle ferme les yeux. Il promène la lame partout, l’enfonce, la lacère, et ses pensées obsédantes la quittent enfin. Divines souffrances ! Elle s’envole, légère, libérée ; la chape de plomb s’est brisée. Elle voudrait plus, souffrir vraiment, pour de bon, jusqu’à l’évanouissement, jusqu’au sang… son sang coulerait, emportant le désespoir qui baigne ses pensées, inonde son cœur jusqu’à l’étouffer de l’intérieur. Elle veut étouffer vraiment, souffrir pleinement dans sa chair, sa peau… alors, peut-être, le trou dans son cœur se refermera, cicatrisera, tant que ses plaies à vif la tourmenteront. De vraies plaies, qui guériront pour de bon, elles. Les blessures du corps pour guérir les blessures de l’âme, retrouver la joie de vivre en prenant des raccourcis, sans l’aide toxique des calmants et des psys.

C’est un dominant doux, sensuel, il ne recherche que son plaisir. Il ne l’écoute pas, même s’il devine ses désirs, peut-être, il ne la suit pas dans ses folies. Il a d’autres idées pour la combler… Il la relève, l’attire tout au fond de la salle, parmi les corps qui s’agitent les uns contre les autres, les uns dans les autres. Elle s’agenouille aussitôt devant lui et accueille avec reconnaissance son sexe dans sa bouche. Qu’il enfle encore, emplisse toute sa bouche, tente de remplacer ce vide dans lequel elle tombe sans fin.
— Prends-moi, fort !
Il hésite un instant, peut-être qu’il devine son égarement, sa détresse, avant de lui obéir, d’accepter ce renversement des rôles. Le temps de l’attacher dans la sling, et le voilà en elle, la prenant doucement, puis de plus en plus fort, avec fièvre, tandis qu’elle s’envole, enfin détachée de son corps… Elle veut plus, il ne lui suffit pas, elle ne veut pas de sa tendresse, pas encore.
— Offre-moi, qu’ils me baisent tous jusqu’à ce que je perde connaissance…
Il secoue la tête et lui sourit…
— Impossible, je ne veux pas, et en plus il y a des Angels qui veillent sur nous…
Des anges pour les maintenir sur terre, les empêcher de rejoindre le septième ciel, et les garder en enfer, ce paradoxe… Elle insiste, torturée par le souvenir de la douceur de son ami disparu. Elle veut effacer ces souvenirs par des étreintes brutales, c’est le seul moyen.
Il est prêt à l’aider dans sa folie, à l’accompagner. Il organise le ballet autour d’elle – ce n’est pas le gang-bang de ses fantasmes où elle serait abusée, massacrée sans ménagement, mais un gang-bang orchestré, à la fois frénétique et maîtrisé. Par son ami, car elle, elle ne maîtrise plus rien, ses seins pressés par mille mains, pincés, sucés, sa bouche baisée, son sexe léché, pris… Elle les oublie enfin, tous, et lui en particulier, qui l’a quittée, lui procurant une souffrance sans mots. Elle oublie aussi ces hommes qui profitent de l’aubaine et la prennent, sous le regard sourcilleux de son ami dominant qui joue les chefs d’orchestre et les frères corses. Les queues se succèdent en elle, anonymes, pressées… Elle s’envole, loin, délestée de ce vide qui la clouait au sol, emplie et légère… S’envoyer en l’air, cette consolation mirage ! Elle n’est plus qu’un corps souffrant, jouissant, et s’évade dans ce monde de sensations, de plaisirs et de souffrances mêlées. Le plaisir masochiste et autodestructeur de s’offrir encore et encore, jusqu’au bout de ses forces.

Soudain elle a froid, les hommes se sont dispersés, il ne reste que son ami. Il la serre contre lui, fort, à l’étouffer. Il l’embrasse, prêt à lui offrir toute la tendresse du monde. Son baiser ravive les larmes, réveille sa peine ; elle ne veut pas. Elle s’enfuit dans la nuit, goûtant les fines blessures de sa peau, la chaleur de son corps, le feu mourant dans son ventre, la béance de son sexe qui pulse encore de désir… Il fait trop froid pour s’offrir à n’importe quel passant dans la rue, ils sont rares et trop emmitouflés, et son chauffeur Uber, mutique, n’a pas l’air intéressé. Elle se résout à rentrer chez elle. La fatigue la terrasse, enfin, après des nuits d’insomnies, à errer comme une âme en peine, morte-vivante faisant semblant de vivre et d’agir normalement. Debout mais en cendres. L’épuisement lui donne le coup de grâce, un coup de massue bienvenue qui l’assomme dans un sommeil sans rêves.

 

 

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