Songeries nocturnes

La nuit étoilée Van Gogh
    Je n’aime pas m’endormir, j’ai l’impression de mourir.
   
Mon corps devient lourd, ne me répond plus, mes paupières se ferment toutes seules, mes mains lâchent le livre, le téléphone qu’elles tenaient, quel que soit l’intérêt de l’histoire, des échanges en cours…
    Mon sommeil ressemble à une anesthésie générale, un coma. Mon corps s’absente, mes pensées divaguent, s’envolent ailleurs, indépendantes, immaîtrisables, vers d’autres mondes étranges.
    Je lutte contre le sommeil tant que je peux, je n’aime pas cette sensation de lâcher prise, d’évanouissement, mais déjà des visions envahissent mon cerveau. Il a rendu les armes, il ne résiste plus aux incohérences de l’inconscient, même si je fais encore la part des choses : une parcelle de lucidité m’informe que ce n’est pas la réalité. C’est le moment magique où il est possible de contrôler ses rêves, on peut les orienter à notre guise, avant de sombrer corps et âme dans cette dimension parallèle.
    J’ouvre les yeux une seconde plus tard, c’est déjà le matin, on m’a volé une partie de ma vie, je suis devenue amnésique, je n’ai aucun souvenir de mes expériences nocturnes ; je suis seulement contente de m’en être sortie cette fois encore, de m’être réveillée de ce sommeil de plomb.
    Parfois, cela ne se passe pas ainsi, je reste les yeux grands ouverts, le sommeil me fuit malgré l’épuisement… ou bien j’ouvre les yeux après m’être endormie, et je sais d’emblée que c’est le milieu de la nuit : le silence est épais, tout est figé, le temps s’est arrêté ; un coup d’oeil sur mon téléphone, il est 2h, 3h.. parfois seulement minuit. La nuit va être longue !
   Je me rallonge, je tente de reprendre le fil de mes rêves, mon corps se relâche, se détend, mais je ne m’endors toujours pas, même si des bribes de rêves traversent mes pensées. Bientôt, je m’énerve de ce non-sommeil, je me tourne et me retourne, avant de me relever, engourdie et fâchée.
    Autant en profiter ! Je peux faire plein de choses dans le calme de la nuit : j’écris, je lis, je tchatte avec d’autres insomniaques… Je le paie cher le lendemain, une journée de zombie m’attend, tout me pèsera, je n’aurai qu’une hâte, me recoucher.
    Ces derniers temps, je vis une expérience inédite : je me souviens de mes rêves ! Ils racontent des histoires… normal je suppose puisque je passe beaucoup de temps à imaginer des histoires ! Ils sont saupoudrés de galères issues de ma vie quotidienne, en mille fois pire, c’est un soulagement de me relever d’entre les morts !
    D’autres ressemblent à des aventures, je commence à les noter, pour peut-être les étoffer plus tard, en tirer une nouvelle, préparer un recueil « Nouvelles rêvées »…
    En voici un par exemple :
    Il y a des années, quand j’étais enfant et déjà fan de SF, je me suis inscrite dans un programme spatial. Il avait tout me faire rêver : il s’agissait de partir à l’aventure vers les étoiles lointaines, à la découverte de planètes habitables, un départ sans retour… Seuls quelques élus seraient sélectionnés, on verrait bien ! Et puis je n’y ai plus pensé, j’ai grandi, suivi des études, vécu ma vie…
    Soudain, je suis recontactée : le programme est achevé, le vaisseau est prêt, ma candidature a été retenue. Le décollage est imminent, il est temps de préparer mon départ et de faire mes adieux.
    Un abîme s’ouvre sous mes pieds, je vais devoir tout abandonner, m’envoler vers l’inconnu… Je me tourmente sans fin, comment l’annoncer à ma famille, mes amis, mon travail ! Je me demande si j’ai toujours envie de partir, j’étais si jeune quand je me suis engagée, il y a si longtemps… Comment l’avouer à l’organisation spatiale, je suis censée être heureuse de partir enfin, ils me font un grand honneur en m’acceptant ! Je réalise que je suis heureuse sur terre, même une terre détruite, promise à une mort certaine, je n’ai pas envie de tout quitter. A dix ans, on vit sans attaches, on ne rêve que d’aventures. Et puis on a des enfants, des amours, des amis, des projets… autant de chaînes qui nous retiennent. Je ne veux plus partir, même si pour vivre en enfer.

    Illustration : La nuit étoilée, de Vincent Van Gogh

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

À propos de l’auteur

Blogueuse et autrice