Une petite histoire inspirée d’un très beau dessin de Gier de Gier.
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La jeune femme était en train de se noyer, elle coulait sans un bruit dans les profondeurs de l’océan.
Une pieuvre passant par là fouillait les rochers non loin en quête de crustacés, elle aperçut la silhouette inanimée. Elle se propulsa à toute vitesse afin de la cueillir dans ses tentacules, juste avant qu’elle ne touche le fond.
La pieuvre connaissait bien les humains, ils plongeaient souvent pour l’observer. Elle se laissait approcher parfois, et même apprivoiser, joueuse et curieuse. Elle se méfiait néanmoins, elle n’était pas du genre à accorder trop vite son affection, elle savait qu’elle risquait sa vie.
Cette humaine-là se trouvait visiblement en difficulté, elle avait perdu sa carapace sombre et les poches d’air sur son dos. Elle ne pouvait respirer dans l’eau sans elles… Elle semblait si fragile, toute nue et si pâle, déjà froide entre ses tentacules. Les cœurs de la pieuvre se serrèrent, sa peau aurait dû être tiède. Elle avait déjà effleuré la peau des humains, leurs mains dépassaient de leur carapace. La chaleur qu’ils émettaient la surprenait à chaque fois.
La pieuvre arrima ses tentacules autour de sa taille, veillant à ce que ses ventouses s’accrochent bien à la peau lisse et glissante. Elle rassembla toute ses forces et nagea vers le rivage. C’était difficile, l’humaine pesait lourd, c’était une créature terrestre, ancrée sur le sol ferme, elle n’était pas faite pour voler dans les airs ou évoluer avec légèreté dans l’eau… Mais retrouver la plage, c’était sa seule chance de survie!
Au prix d’un immense effort, la pieuvre réussit à déposer la noyée sur le sable. Elle la serra fort entre ses tentacules, plusieurs fois de suite, et la femme hoqueta, recrachant de l’eau salée. Épuisée, elle s’abandonna contre le corps de la pieuvre et s’endormit sur ses cœurs palpitants.
La pieuvre n’osait plus bouger. Elle décida d’attendre un peu, le temps que sa protégée se remette. Elle pouvait rester un certain temps hors de l’eau, mais pas trop longtemps quand même ; la marée baissait, l’océan s’éloignait de plus en plus.
Cependant, l’humaine ne se réveillait pas. La pieuvre se sentait mourir sous la morsure ardente du soleil. De toutes façons, jamais elle ne parviendrait à atteindre l’eau maintenant, c’était trop loin… La pieuvre se fit une raison, au moins elle avait sauvé une vie, à défaut de donner la vie. Elle desserra son étreinte autour de la jeune femme, trop faible pour continuer à la bercer.
La jeune femme ouvrit les yeux, elle ne se sentait plus entourée par des bras frais, ils avaient glissé. Elle se redressa et découvrit son sauveur : un superbe poulpe géant ! Depuis combien de temps patientait-il auprès d’elle ? Ses yeux étaient clos, ses merveilleuses couleurs rouges commençaient à ternir ; il bougeait à peine. Vite, elle le prit dans ses bras et le porta jusqu’à la mer.
La pieuvre reprit vie dans les vagues salées. Elle s’attarda près du bord, et tendit un tentacule hors de l’eau. La jeune femme s’en saisit, le serra doucement. Elle ne savait pas si la pieuvre pouvait la comprendre, mais c’était plus fort qu’elle, elle voulait lui parler.
— Merci de m’avoir sauvée la vie ! Je reviens demain ici à la même heure, avec des bouteilles cette fois. Je n’ai plus envie de me suicider, j’ai envie que l’on devienne amies !
Le tentacule s’enroula le long de son bras, comme pour sceller leur amitié.
La pieuvre émergea un instant, le temps d’échanger un long regard avec l’humaine. Son regard empreint de sagesse et de bonté alla droit au cœur de la jeune femme. Au-delà des éléments, de leurs différences, elles s’étaient trouvées toutes les deux, et s’entendaient.
La pieuvre plongea et disparut. Elle voulait rejoindre son trou, retrouver sa solitude bien-aimée, et se reposer, méditer. Une amie… c’était tentant et effrayant à la fois.
La jeune rescapée ne se posait pas de questions. Encore essoufflée, elle se dirigea vers le club de plongée de la plage, déterminée. Elle voulait absolument revoir son sauveur, le remercier – ou la remercier, comment savoir ! Elle rêvait de sentir à nouveau l’étreinte collante et puissante de ses tentacules. Peu importait qu’ils appartiennent à des espèces différentes, elles trouveraient bien un moyen de communiquer.
– Dessin : Gier de Gier (détail d’une oeuvre en cours)
D’autres oeuvres à découvrir sur son blog : Les carnets d’art de Gier
4 commentaires
J’arrive en direct de chez Gier, que je suis régulièrement et donc je découvre votre blog. Un conte doux et positif qui parle d’une humanité et des relations telles quelles devraient être.
Un enseignement pour petits et grands.
Merci Alain pour ce retour qui me va droit au cœur ! Je trouvais mon histoire un peu naïve, mais je suis contente si j’ai réussi à transmettre ce que je ressens…
Merci beaucoup pour ces compliments qui me font très plaisir !
Bravo pour ce joli conte plein de poésie et d’humanité. Avec ce zeste d’intérêt et de respect pour la différence.
Gordon Brand