Après avoir fantasmé sur la réouverture des terrasses de café, puis des restaurants, je monte d’un cran et rêve de la reprise des soirées !
Une soirée techno, forcément : les free party ont été les dernières soirées à s’arrêter, elles devraient être les premières à reprendre…
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Le déconfinement était lancé, Claire se réjouissait pour les cafés, les magasins, les restaurants, ils avaient enfin pu rouvrir après ces longs mois de fermeture. Les musées aussi avaient rouvert leurs portes, les expositions reprenaient, tout comme les spectacles, les séances de ciné et les pièces de théâtre… Seul le milieu de la nuit restait à l’arrêt. Les clubs, les discothèques, tout le milieu festif se morfondait, dans l’attente d’une date hypothétique.
Claire était sur les starting blocks depuis des semaines. Elle guettait un frémissement, un espoir… Elle s’était inscrite sur toutes les pages et les groupes Facebook du milieu, elle suivait des DJ, des organisateurs de soirées, des lieux de fêtes, et relançait souvent ses amis de soirées « alors, toujours rien ? ». S’il se passait quelque chose, elle en serait la première avertie, c’était sûr !
Et puis les soirées en plein air furent autorisées et le monde de la nuit s’est mis à vibrer, un peu comme le grondement du tonnerre avant l’explosion et les éclairs qui déchirent le ciel. Claire bouillonnait de joie, les alertes tombaient en pluie dans sa messagerie et sur ses réseaux sociaux. Les soirées fetish, BDSM, gothiques, electro, kinky, partagèrent la bonne nouvelle sur leurs murs et profils et promirent de travailler d’arrache pieds pour proposer bientôt des événements, dès qu’il serait possible de danser aussi à l’intérieur. Claire soupira, ce n’était pas gagné.
Mais le milieu techno, lui, était prêt ; les premières dates fusèrent. Un événement en particulier attira son attention : une soirée au milieu d’une forêt, comme à la grande époque des raves… Elle fréquentait plutôt les soirées fetish ou gothiques d’habitude, elle y retrouvait tous ses amis, mais elle était prête à tout pour entendre à nouveau du bon son et danser jusqu’au bout de la nuit, même s’il fallait pour cela traverser une forêt pleine de loups !
Claire se sentait moins fière le jour J. Son Uber la déposa à l’entrée d’un chemin forestier, le chauffeur lui souhaita bonne chance d’un signe de la main et s’en alla. Claire s’inquiéta, elle était folle d’y aller seule, elle aurait dû prendre le temps de trouver un cavalier, de rallier des amis, au lieu de se jeter directement dans la gueule du loup ! Elle avait paré au plus pressé : prendre sa place avant qu’il n’y en ait plus ; les gens s’étaient jetés dessus, pire qu’un concert de Ramstein ! En deux heures, tous les billets étaient vendus, ça se lamentait sans fin sur la page Facebook de l’organisateur ; il promettait d’en refaire bientôt, promis. Si les soirées en plein air étaient enfin permises, il y avait un nombre de participants à ne pas dépasser, il préférait être en règle ! Seuls les possesseurs du précieux sésame reçurent « l’adresse » : des coordonnées GPS au milieu de nulle part.
Claire s’enfonçait dans la forêt, frissonnante. Il faisait doux en ce début d’été, mais la forêt au crépuscule projetait des ombres inquiétantes. Claire était une fille de la ville, elle n’avait pas vu un arbre depuis des années, et là, il y en avait plein ! Serrés, oppressants… Et ces silhouettes encapuchonnées qui évoluaient comme des spectres… ils allaient bien à la soirée eux aussi ? Claire l’espérait, elle chassa ses inquiétudes ; elle touchait au but. Elle avançait d’un pas vif et tentait d’ignorer les craquements des branches aux alentours et les hululements sinistres. Elle consulta une fois de plus son téléphone, dieu merci ça captait ! Elle n’était plus très loin.
Soudain, elle entendit comme une pulsation sourde qui gagnait en puissance à mesure qu’elle approchait. La soirée ! Comme le cœur battant de la forêt… Elle l’aperçut bientôt, des tourbillons de lumière, des flashs, des lasers, et bientôt une clameur. Une foule de danseurs criait sa joie de retrouver sa liberté et ce son qui lui avait tant manqué. Claire se mit à courir en compagnie d’autre fêtards ; tous convergeaient vers cette clairière, leur dance floor pour la nuit.
Claire se fondit dans la foule et se joignit aux danseurs, heureuse de se retrouver au milieu d’eux, de sentir leur chaleur, leurs cœurs battant à l’unisson avec le rythme de la musique, de plus en plus fort. Le sien cognait dans sa poitrine, il semblait sur le point d’exploser de joie, le son pénétrait chaque cellule de son corps, le faisait vibrait, lui montait à la tête. Elle ferma les yeux, enivrée de musique, elle dansait comme si elle volait… n’importe comment, en suivant ses envies, personne ne la jugerait. Certains bougeaient à peine, ils dansaient intérieurement, concentrés sur leurs sensations, quand d’autres bondissaient partout avec de grands gestes. Tous évoluaient en rythme, une même communauté, connectée, liée par une musique qui se faisait dense autour d’eux et les enserrait dans ses bras.
Claire ne reconnaissait personne, elle était cernée d’inconnus, mais bientôt elle les aimait tous comme ses meilleurs amis. Ils partageaient un même amour pour cette musique de folie, au point de traverser toute une forêt à la nuit tombée ! Ils se retrouvaient enfin et se souriaient, des sourires qui réchauffaient encore son cœur. Ils se reconnaissent entre passionnés, échangeaient parfois des confidences à l’oreilles, des gorgées d’eau ou des cigarettes. Et puis des baisers aussi.
Le rythme infernal de la musique ne parlait pas qu’à leur cœur, mais à leur corps aussi ; ils s’enflammaient de désir à force de danser en transe. Ils s’enlaçaient, heureux d’être là, tous ensemble, et bientôt, les baisers dérapaient, les lèvres se joignaient ; une immense fête sensuelle se déployait au clair de lune et gagnait tous les participants. C’était tout simplement trop de bonheur, il fallait l’exprimer d’une façon ou d’une autre en dansant, en s’embrassant ! Certains quittaient la clairière bras dessus bras dessous, peut-être pour se trouver une cachette et s’aimer à l’abri des buissons. Claire les regardait en souriant, sans les envier ; pour rien au monde elle ne quitterait le cœur de la clairière, elle restait là, au plus près du DJ, avec d’autres fous de musique. Ils nageaient dans ces ondes sonores qui les transportaient, elles s’infiltraient partout, les faisait vibrer des pieds à la tête. Ils évoluaient, légers, portés par les sons qui les propulsaient haut dans le ciel et ouvraient leurs cœurs en grand. Il se souriaient, rapprochés par cette musique sans fin qui les mènerait sans fatigue jusqu’à l’aube. Tout le reste passait après, rien ne pouvait surpasser ce plaisir du son.
Claire restait dans sa bulle, le regard vague, heureuse au milieu de la foule, avec la musique comme seule amie ; elle ne cherchait rien d’autre. Mais soudain, son regard croisa celui d’un garçon, elle eut l’impression de le reconnaître, tout en sachant pertinemment que c’était faux. Tous les autres visages devinrent flous alors que le sien se détachait clairement, un visage d’ange au regard bienveillant, sage et taquin tout à la fois. Ils fendirent la foule à la rencontre l’un de l’autre. Il ouvrit grand ses bras, et elle s’y lova, le cœur heureux. Il lui caressait les chevaux, les embrassait, et elle s’embrasait doucement, un feu qui couvait et pouvait flamber à tout moment. Elle goûtait ce moment tendre, au milieu de la musique trépidante ; ils étaient à contre rythme et merveilleusement bien pourtant. Il prit son visage entre ses mains pour le lever vers le sien et l’embrasser. Elle volait déjà depuis des heures, mais soudain elle s’envola à la vitesse de la lumière vers les étoiles avant d’entamer une chute libre vertigineuse. Ils s’embrassaient sans fin, ils n’avaient pas besoin de se parler, de faire connaissance ; la musique leur suffisait. Et ces baisers.
— Je suis médecin, souffla-t-il a son oreille.
Il voulait la rassurer peut-être : il n’était pas un serial killer qui tentait de l’emmener au fond des bois pour l’éventrer. Ou, plus vraisemblable, elle avait une mine affreuse et ressemblait à une morte-vivante, il s’inquiétait. Peu importe ! Le désir de Claire s’enflamma pour de bon, éperdue d’admiration ; il sauvait des vies ! Elle se serra plus fort contre lui et il l’emporta dans ses bras. Apparemment, il faisait du sport aussi pour la porter aussi facilement, sans grimacer sous son poids ! Il se souriaient, ravis de leur rencontre inattendue. Claire se sentait prête à tout, tant que la musique et la nuit durerait, avec les lasers multicolores qui passaient sur leurs visages et les métamorphosaient. Ils étaient des créatures évoluant dans une autre dimension, une autre réalité où rien ne comptait.
Elle finit par s’alarmer, il lui semblait que la musique avait baissé d’un cran, et on y voyait mieux : la nuit laissait la place à une aube blafarde. Autour d’elle, ce n’étaient que des zombies aux mines blêmes, aux yeux de déterrés, aux gestes lourds… Elle n’osait imaginer sa propre tête ! Vite, partir telle Cendrillon, avant que le sortilège ne soit rompu, avant que la musique ne s’interrompe complètement et qu’elle s’écroule de fatigue. Il lui fallait regagner la route, faire du stop, rentrer… Elle s’enfuit, elle ne voulait pas assister à la fin de la soirée, elle préférait garder éternellement le souvenir de cette fête onirique, irréelle. Si elle s’attardait encore, tout serait gâché.
Elle marchait vite, pressée de s’éloigner. Le cœur battant de la soirée pulsait encore, assourdi à mesure qu’elle s’éloigne. Bientôt, elle ne l’entendit plus, ils avaient dû éteindre la sono. Elle se sentit déprimée tout à coup ; sans la musique, l’ivresse de la nuit se dissipait. La fatigue lui tomba dessus d’un coup, pesant sur son moral.
— Attends !
Elle entendit des pas derrière elle, on la poursuivait. Elle se retourna et sourit. C’était lui, son danseur, tout essoufflé. Il pouvait apparemment danser toute une nuit et la porter dans ses bras sans effort, mais courir cent mètres, c’était une autre histoire.
— Tu t’es sauvée sans même me dire au revoir !
— Oui, avant que l’enchantement ne prenne fin, et je sens que c’est bientôt…
Il se mit à rire.
— Qu’est-ce que tu crois, que c’était un rituel magique, une danse des nymphes sous la lune ? Ou des diables qui dansent sur le mont chauve ? On est dans la réalité ici ! Nous sommes tous vrais, en chair et en os, et je n’ai pas envie de rompre la magie ; la magie c’est nous tous, c’est toi et moi, elle est bien réelle en fait ! Reste, on a prévu des croissants, des jus de fruits… on a même un réchaud pour faire du café !
— Il ne manque plus qu’un feu de bois et une guitare, s’amusa Claire.
Toute sa joie de vivre revenait.
— Faudra aider à ranger un peu aussi et à remballer le matos !
Et soudain le jour était là, les oiseaux chantaient à tue-tête, les rayons du soleil percèrent les feuillages des arbres et saupoudrèrent d’or toute la forêt, ainsi que la peau de son ami ; il brillait comme un vampire !
Une autre magie était à l’œuvre, lumineuse. La musique n’était plus là pour tout envahir, et Claire prêtait attention aux senteurs sauvages de la forêt, aux chants des oiseaux qui se répondaient au-dessus de sa tête. Elle sourit.
— D’accord… un café, c’est tentant !
— Et ensuite, je te ramène chez toi… ou chez moi…
Photo : Jacob Xhrist (retirée sur simple demande)
2 commentaires
Merci Djamel ! Champagne pour moi J’ai hâte moi aussi, de plus en plus à mesure que ça se rapproche de nous !
Toujours un plaisir de vous lire 🤩
Ouiiii vivement les belles soirées en plein air 😍🌞 Musique et Vin blanc 🍾🥂 Ambiance