Planquée derrière son chapeau et ses lunettes de soleil, Claire se livre à son activité favorite sur la plage, observer son prochain : les enfants construisent des châteaux et se racontent des histoires non loin de parents indulgents ou indifférents, les jeunes galèrent pour mettre un voilier à la mer, un père démêle patiemment les fils d’un cerf-volant pour son petit garçon qui trépigne….
Soudain, trois jeunes filles arrivent, et elles éclipsent tout le reste, Claire n’a d’yeux que pour elles. Elles courent, légères, leurs longs cheveux flottant dans le vent. Deux brunes espiègles, et une blonde plus calme, un peu plus âgée. Elles sont toutes fines, vêtues seulement de minuscules bikinis et de leurs longs cheveux. Elles ont la beauté infernale de la jeunesse, avec leurs poitrines insolentes, leurs dos cambrés, leurs jambes interminables… Elles dansent, virevoltent sur le sable, leurs peaux blanches offertes au soleil ardent, graciles et gracieuses.
Les deux plus jeunes chahutent, se poursuivent, s’attrapent, pendant que la troisième s’allonge et s’abandonne aux rayons du soleil. Les autres tâchent de l’entraîner vers la mer, sans succès, elle préfère se dorer au soleil. Les deux jeunes filles la laissent en haussant les épaules, se prennent par la main et courent vers le rivage. Elles se jettent à l’eau, avant de revenir à vive allure, elles se poursuivent en s’interpelant joyeusement, et filent comme le vent… L’une d’elles, très agitée, se jette trempée sur son amie alanguie sur le sable, écrasée de chaleur, l’aspergeant de gouttelettes glacées, pressant son corps froid contre sa peau brûlante. Les voilà en train de se battre toutes les trois en riant ; envolée de bras fins, de gambettes, de chevelures au vent… Claire les dévore des yeux, se régalant de ce délicieux spectacle de jeunes filles en fleurs affolées, énervées, se mouvant dans tous les sens dans l’espoir vain de s’apaiser. Elles ne tiennent pas en place, sautillantes, débordantes d’énergie. Claire pourrait les regarder des heures, fascinée, mais Julien l’attire à lui.
— On rentre ? Il est tard déjà…
La nuit tombe de plus en plus vite en cette fin d’été. Claire ne raterait pour rien au monde ses rendez-vous avec la nature : deux minutes après le coucher du soleil, c’est l’heure de regarder le ballet des chauves-souris devant leur fenêtre. Puis, on enchaîne avec le merveilleux spectacle du lever de la lune sur la mer. Surtout ne pas manquer ce moment où la lune apparaît à l’horizon et s’élève — si la météo est de leur côté.
C’est le cas de soir-là, et le show promet d’être grandiose ! Ils se postent sur la falaise qui surplombe la plage, et s’accoudent sur le rebord de pierre, scrutant l’horizon. On entend des éclats de rire, en contrebas sur la plage.
— Oh regarde Julien, ce ne sont pas les trois jeunes filles qui étaient devant nous sur le sable ?
Il fronce les sourcils, on ne voit pas grand-chose, il n’est pas sûr.
— Si, si, ce sont elles, j’en mettrais ma main à couper !
Claire se penche pour mieux les regarder. Ce sont bien elles ! Elles dansent, silhouettes gracieuses en ombres chinoises, sur de la musique qu’on entend à peine, couverte par le bruit des vaguelettes. La lune se lève, lourde, ronde, comme à regret avant d’accélérer. Les jeunes filles rient fort, se taquinent, s’échappent parfois, se poursuivent, avant de revenir danser en chantant et piaillant joyeusement. Parfois, l’une d’entre elles renverse sa tête en arrière pour rire à gorge déployée, c’est un spectacle charmant. À nouveau, Claire ne peut plus s’arrêter de regarder ces trois jeunes filles si vives, complices.
Soudain l’une d’entre elles lève les yeux dans leur direction et la regarde fixement. Claire recule vivement, gênée d’avoir été surprise en train de les observer. Mais la jeune fille lui adresse un grand sourire, et lui fait signe de les rejoindre. Après un instant d’hésitation, Claire et Julien descendent les marches et s’approchent. Ils sont aussitôt invités à entrer dans la danse. La musique se révèle très entraînante, l’envie de danser est irrésistible, ça fait tellement longtemps ! Claire avait presque oublié cette joie du cœur, l’électricité qui parcourt tout le corps, le met en mouvement, en rythme, l’énergie inépuisable, la fatigue qui s’envole…. C’est si bon de danser, de s’envoler !
Peu à peu, Claire a l’impression que la musique change, se teinte de notes sombres. Les jeunes filles ont encore pâli sous les rayons de lune, leurs bouches semblent peintes en noir. Elles rient plus fort, leurs ombres sur le sable sont douées de vie propre et dansent à leur façon une chorégraphie mystérieuse et inquiétante. La lune en s’élevant a perdu sa couleur rouge, elle se dresse, dorée, et ses rayons de lumière colorent tout en noir, blanc et or. Ils jouent dans les chevelures des jeunes filles, elles ressemblent à des fées en train de danser sous la lune. Elles ont retiré leurs bikinis, elles sont nues, parées de leurs longs cheveux qui bougent comme des lianes vivantes. Claire et Julien les ont imitées, sans se poser de questions, pour le plaisir de danser nus avec elles, sous la lune. La fraîcheur de la nuit ne les gêne pas, Claire est si frileuse pourtant, tant ils dansent, encore et encore. Les jeunes filles rient, les entraînent, accélèrent encore. Soudain, elles forment un cercle, se tiennent par la main, tournent en une ronde folle, en criant d’excitation et en chantant dans une langue inconnue.
— Viens, on rentre, elles me font un peu peur, s’inquiète Claire.
Mais Julien ne l’écoute pas, comme subjugué par leurs mouvements, leurs chants discordants. Il les rejoint, elles l’accueillent dans leur cercle, se rapprochent, se pressent autour de lui. Le voilà invité dans leur ronde infernale, tenu fermement par des mains aux griffes acérées, des ongles démesurément longs. Elles pressent leurs seins fermes contre son torse, il ferme les yeux de délice, excité, rendu fou par leurs caresses, leurs baisers. Il est bientôt pincé, mordillé, mordu. Aïe ! Des rires lui répondent, des rires étouffés de collégiennes qui se muent bientôt en rires démoniaques de possédées. Julien réprime un frisson, elles sont folles, il doit sortir du cercle, rejoindre Claire… Elles fondent sur lui comme des harpies en hurlant, Julien se couvre les oreilles de ses deux mains, sans parvenir à atténuer leurs hurlements sinistres. Bientôt, ses cris se mêlent aux leurs, un vacarme couvert par le fracas assourdissant des vagues sur les rochers.
Claire s’affole, elle ne voit plus Julien, elle crie, tente de rejoindre le cercle des danseuses qui s’éloigne toujours, tourbillonnant à une vitesse folle. Elle l’appelle, sanglote, supplie…
Claire ouvre les yeux, et comprend rapidement qu’elle se trouve dans une chambre d’hôpital. Une infirmière entrouvre la porte.
— Vous voilà enfin réveillée !
— Que s’est-il passé ?
— Vous dormiez depuis plus de 48h, on vous a trouvée à demi morte d’épuisement sur le sable, les pieds en sang. Les sauveteurs vous ont procuré les premiers soins, et ramenée ici. Vous teniez des propos incohérents, comme des cauchemars…
— J’étais avec mon ami, Julien, je veux le voir ! Blond, 1m80, il doit être ici lui aussi, ce n’est pas possible autrement…
— Je suis désolée, vous étiez seule sur le sable…
Claire se lève, elle ne veut pas rester une minute de plus. Elle se rhabille et se précipite à la gendarmerie du village.
Les gendarmes l’accueillent avec un sourire narquois. Encore une gonzesse super chiante, monsieur a pris la poudre d’escampette avec trois petites jeunettes, l’histoire éternelle. Claire insiste, ils doivent rentrer dimanche, on les attend au travail dès lundi, Julien n’aurait jamais fait ça… En soupirant, ils acceptent d’ouvrir une enquête pour disparition inquiétante.
— Vous vous êtes disputés récemment ? interroge l’un des gendarmes. Il a peut-être préféré prendre le large… Cela arrive, la crise de la quarantaine, tout ça. Certains hommes sont si lâches qu’ils préfèrent partir sans prévenir. Vous seriez loin d’être la première !
Claire erre sur cette maudite plage. Tout est différent à la lumière du jour, et la marée est haute cette fois. Elle ne sait pas ce qu’elle cherche, des indices… Soudain, elle remarque quelque chose à moitié enfoui dans le sable : le pendentif de Julien ! Elle le lui avait offert au début de leur relation, une pieuvre. Il la portait tout le temps, même si deux tentacules s’étaient cassés.
— Hélas, ils ne repousseront pas, avait-elle plaisanté. Enlève cette horreur !
Julien s’était récrié, il y tenait énormément, les débuts de leur amour fou, il y a sept ans déjà. Et l’âge de raison n’était pas venu…. Jamais il n’enlevait cette pieuvre, même pour dormir ou se laver. Et la voilà abandonnée sur la plage. Claire serre le bijou dans sa main, elle décide de rester sur place jusqu’à la prochaine pleine lune, elle se débrouillera avec son taf. Rien n’était normal cette nuit-là, le charme dangereux des jeunes filles, leur beauté surnaturelle, cette musique diabolique, son chéri hypnotisé… Elle retournera sur cette plage pour assister au lever de la pleine lune, et peut-être surprendrait-elle Julien en train de danser avec ces trois succubes, et tout son amour réussirait à le ramener dans le monde des vivants.
***
L’histoire de l’histoire : j’ai effectivement regardé trois jeunes filles chahuter à la plage, amusée et charmée par leurs jeux et leurs poursuites… et à la nuit tombée, trois jeunes filles dansaient sur le sable, éclairées par la lune, avec une petite enceinte diffusant de la musique inaudible. Des jeunes filles différentes, fusionnées pour les besoins de l’histoire ^^
2 commentaires
Très belle histoire entre tension, charme, sorcières ou vampires… dès la première ligne on est happé par celle ci.
Merci beaucoup pour ce retour ! 🙂