A tous les amateurs de cafés, à tous les coquins et coquines cachant un coeur romantique, je dédie cette histoire très sage pour une fois… Je vous souhaite à tous une très bonne St Valentin pleine de tendresse et d’amour !
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Eric remarque tout de suite la jeune femme qui vient d’entrer dans le café. Cela fait déjà plusieurs jours qu’elle vient. Elle entre après un instant d’hésitation et balaie la salle du regard, comme si elle cherchait quelqu’un. Elle a l’air ailleurs, perdue dans ses pensées. Il est difficile de lui donner un âge, vingt-cinq ans, trente ans peut-être. Elle ne passe pas inaperçue. Pas de maquillage, des cheveux longs à peine démêlés, habillée de façon très originale, presque folklorique, avec une grande jupe rouge ou verte, des châles multicolores qui traînent par terre et des bijoux fantaisie qui tintent quand elle bouge. Eric ne connaît rien à la mode, mais il lui semble qu’elle mélange des influences gitanes, indiennes… Elle s’installe toujours à la même place, en face de la porte d’entrée, tout au fond de la salle. Eric s’arrange pour s’approcher d’elle et prendre sa commande. Il est curieux, il aimerait lier connaissance, bavarder avec elle. Il sent qu’elle n’est pas une fille comme les autres, superficielle et moqueuse. Elle ne vit pas avec le téléphone portable à la main, suivre les tendances du moment lui est complètement égal. Elle est toujours seule mais ne semble jamais s’ennuyer, plongée dans ses rêves, ou le nez dans un carnet où elle écrit régulièrement.
Une fois assise, la jeune femme lui demande un café bien serré, et, celui-ci à peine avalé, en redemande un autre aussitôt, sans un regard pour le serveur, machinalement. L’ignorant complètement. Elle les boit les uns à la suite des autres. Eric finit par s’en inquiéter. Il décide de lui servir des décaféinés pour ménager son cœur.
Intrigué, il l’observe discrètement. Son manège est toujours le même, au point de ressembler à un rituel. Elle ne boit pas le café tout de suite. Elle attend. Elle le regarde fixement. Puis, elle le déguste, doucement, lentement, les yeux fermés. Elle penche ensuite la tasse et la fait tourner trois fois, avant de la retourner sur la soucoupe. Elle reprend la tasse au bout de quelques instants, et semble se plonger dans une profonde méditation.
Eric n’y comprend rien. Est-ce un écrivain en mal d’inspiration ? Ou tout simplement une fille à moitié folle avec des manies bizarres… Entre deux tasses de café, la jeune femme regarde tout ce qui se passe dans la salle, observe les clients, semble écouter les conversations, et écrit avec frénésie dans son carnet.
A force de l’observer, Eric s’intéresse de plus en plus à la jeune femme. Il cherche à attirer son attention. Son service rapide et efficace passant inaperçu, il surmonte sa timidité et s’enhardit jusqu’à lui adresser la parole : « Beau temps n’est-ce-pas mademoiselle » lui lance-t-il un matin, d’un ton faussement jovial. Rouge de honte d’avoir prononcé une telle banalité, il court se réfugier derrière le comptoir, cherchant ce qu’il pourrait lui dire de drôle, de spirituel, pour qu’elle lève enfin les yeux sur lui.
Chaque jour il invente quelque chose de nouveau pour établir un contact avec sa cliente. Un jour, il dépose des chocolats sur sa table pour accompagner son café. Le lendemain, il lui rend la monnaie avec des pièces étrangères. Une autre fois, il lui offre une revue de poésie en lui disant, d’un ton qui se veut désinvolte « Tenez, je vous la donne si vous voulez, quelqu’un l’a oubliée ». Il est remercié du bout des lèvres, sans un regard. Mais Eric ne renonce pas, au contraire. Tant de résistance et de mauvaise grâce décuplent sa motivation et son intérêt.
Au fil des jours, il réussit à apprendre que la demoiselle s’appelle Sophie, qu’elle termine des études de psychologie, bien qu’elle n’ait pas l’air tellement psychologue soupire-t-il, tout en gardant soigneusement cette remarque pour lui. Elle attend quelqu’un lui déclare-t-elle, elle n’a besoin de rien, merci, ah, si, un nouveau café… Eric tente d’engager la conversation. Il lui parle de ses projets de voyage, de son rêve d’ouvrir son propre bar, un café philo, mais pourquoi pas psycho, oui, c’est très bien aussi. Mais ses tentatives d’approche se soldent toutes par des échecs. La jeune femme retombe vite dans son mutisme et il sent qu’il l’encombre. Elle se met à regarder à travers lui, il devient transparent, elle ne répond plus à ses questions. Il doit s’effacer. Il s’éloigne en imaginant aussitôt mille scénarios pour entrer de nouveau en contact avec elle.
Sophie ne quitte plus ses pensées, il est fasciné par cette mystérieuse jeune femme qui se dérobe sans cesse, qui le fuit. Il ne comprend pas ce qu’elle attend, ce qu’elle fait là. Devenu amoureux fou, Eric n’a plus goût à rien, et ne vit que pour le moment où elle fera son entrée dans le café.
Au bout d’un mois, n’y tenant plus, Eric rassemble son courage et tente le tout pour le tout. C’est le jour de la St Valentin, c’est le moment ou jamais. Il dépose une magnifique rose rouge à coté du café qu’il vient de lui servir. Tremblant, le cœur battant, il guette sa réaction. Sophie lève les yeux et le regarde enfin, pour la première fois. Elle marque un temps d’arrêt. Immobile comme une statue, la bouche légèrement entrouverte, les yeux ronds comme des billes, elle examine le jeune serveur. Surprise, elle découvre un jeune homme tout à fait charmant. Il a l’air timide, mais également espiègle, enthousiaste. Il est coiffé n’importe comment, avec des épis partout, et il lui sourit largement. Il porte de grosses lunettes, et derrière, ses yeux brillent et plongent dans les siens. Sophie, gênée, baisse les yeux, se camouffle comme elle le peut derrière ses cheveux, intimidée à son tour. Elle sent une douce chaleur l’envahir, son cœur tressaillir de joie et d’excitation. C’est lui. Quelle ironie ! Elle l’attend depuis des semaines, et il était là, tout près, si gentil, si prévenant, s’occupant d’elle, sans qu’elle lui accorde la moindre attention. Sophie éclate de rire. C’est trop bête. Tant d’heures passées à tenter de lire son avenir dans le marc de café, en vain. Elle avait réussi à comprendre qu’elle rencontrerait l’amour, ici, dans ce café. Quand, et qui, cela restait un mystère malgré ses interrogations incessantes. Elle ne pouvait pas imaginer une seconde qu’il s’agissait du serveur, qui était là, sous ses yeux, pendant tout ce temps !
Blessé, Eric détourne ses yeux, et recule. Ce rire est comme un coup de poignard en plein cœur. Elle se moque de lui. Mais bientôt, Sophie lui parle, et dissipe tout malentendu. Il n’en croit pas ses oreilles. Elle lui parle et le regarde. Son rêve est en train de se réaliser. Eric se sent tellement heureux, c’est si soudain, il n’a rien compris à ses paroles. « Pardon mademoiselle, que me disiez-vous, j’étais troublé ». Sa voix tremble, il ressent un trac terrible, comme s’il jouait son avenir, ce qui est sans doute le cas d’ailleurs.
Sophie sourit, indulgente, et répète sa question.
– Excusez-moi de vous le demander à nouveau, mais vous vous appelez comment déjà ? ».
La morale de l’histoire est connue, mais il est parfois utile de la rappeller 😉 : si vous cherchez l’amour, avant de vous précipiter sur les sites de rencontre, regardez de plus près autour de vous : vos voisins, vos collègues, vos partenaires de tennis ou autre, vos amours de jeunesse (merci copains d’avant) …
Photo prises sur le net
2 commentaires
Un élixir de jouvence ce récit joliment écrit. J’ai passé un agréable moment à le lire.
Ma femme devant la télé et moi devant l’ordinateur.
Merci; chère Clarissa, pour ce joli conte de la Saint-Valentin. Mon amour du café et mon côté fleur bleue s’y retrouvent bien