Lettre à mon soumis chéri

Venus à la fourrure
   Première lettre écrite dans le cadre du concours de textes organisé par Chuchote-moi :

***
    Quand tu es entré dans ma vie, il y a quelques mois, je ne me doutais pas du raz de marée qui m’attendait. Ce ne fut pas un tsunami dévastateur, un ouragan tropical, mais plutôt une vague lente, qui a tout envahi peu à peu, mon temps, ma vie, mes pensées, chaque parcelle de mon corps…
     Avant de te connaître, je m’amusais à jouer les dominatrices, usant de la cravache, du fouet avec enthousiasme, pour le plaisir de me costumer, d’endosser un rôle, de me mettre en scène. Je ne ressentais rien d’autre qu’un peu de fierté à être regardée en pleine action, adulée par les soumis se traînant à mes pieds, et plein de plaisir bien sûr, sous leurs caresses, leurs langues, quand je leur demandais de me lécher des heures, jusqu’à épuisement.
    Ce pouvoir me grisait totalement : exiger l’impossible, et voir mes désirs aussitôt exaucés, quels qu’ils soient. Mais je me lassais vite d’eux, de leurs exigences, de leur insistance. Oppressée, fatiguée, je les envoyais tous promener pour gagner mon appartement silencieux, soulagée de me retrouver seule enfin, sans mille mains affamées sur moi, avides de me servir, finissant par m’étouffer.
     Jusqu’à toi. Tu es arrivé sur la pointe des pieds, tu n’as rien demandé, rien exigé, tu t’es contenté d’être là, à ma disposition, et tu m’es devenu aussi indispensable que l’air que je respire. J’éprouve des sentiments, des émotions, jamais ressenties auparavant, et sur lesquels j’ai du mal à poser des mots. Je vais quand même essayer, tu m’écris de si jolis messages, avec tant de compliments et de louanges ! Je devrais en rire, ils sont si excessifs, décalés, fous, mais ils me touchent profondément au contraire. J’en perçois bien le danger, celui de te croire pour de bon, de devenir « accro », car tes messages, je les guette, je les attends, toute ma vie loin de toi tourne autour d’eux. Le soir, je m’endors avec le sourire en te lisant ; le matin, mon premier mouvement, mes premières pensées sont pour toi, et les mots que tu me dédies. Tes messages nous maintiennent en lien quand l’on ne peut pas se voir, comme mille fils invisibles qui m’attachent à toi peu à peu, de plus en plus, ravivent mon manque de toi, mon envie de te voir.
    Je ne devrais pas te dire tout ça, je le sais, je ne suis plus dans mon rôle de maîtresse, mais ce soir, j’ai envie de quitter ce piédestal où tu me hisses, de retirer mon masque sévère de dominatrice, il finit par me peser, et de t’écrire à mon tour. Les mots bouillonnent, se bousculent dans mes pensées, rien ne pourra les retenir. Je vais te parler sans détour, de tout mon cœur, quitte à me dévoiler, te faire peur peut-être, car évoquer ses sentiments, c’est souvent le tabou absolu.
     Tout le monde connaît l’amitié, l’estime, l’amour parental, conjugal, fraternel, passionnel… mais il y a mille autres nuances dans les sentiments : l’amitié amoureuse, les sexfriends… et le mystérieux lien qui unit une domina avec son soumis, un lien d’une nature si particulière, unique, incompréhensible de ceux qui ne l’ont pas vécu.
    Il nous attache l’un à l’autre par des nœuds serrés, difficiles à dénouer, nous faisant oublier le reste du monde pour nous consacrer l’un à l’autre. Parfois, j’ai envie de trancher ce lien, ces nœuds compliqués, et de me disperser à nouveau ; mais c’est une envie fugace, venant de mon passé agité, d’avant toi, et finalement je préfère me tourner vers toi et te torturer sans fin pour éprouver ton dévouement.
    Je tente l’impossible en espérant décrire ce qui nous relie avec des mots. C’est une sorte d’attachement indéfectible, intense, éternel, qui déborde, me submerge régulièrement, sous l’effet de tes messages, de tes baisers… C’est aussi fort que l’amour passionnel, mais sans en être ; ce n’est pas non plus de l’amour romantique, même si certains élans y ressemblent ; ce n’est certainement pas de l’amitié, même si c’est aussi durable… C’est autre chose, qui m’était étranger jusqu’à toi, et que j’ai du mal aujourd’hui encore à envisager dans toute son ampleur.
     Tu m’es tout dévoué, je devine ton adoration dans tes yeux, je savoure ton regard, leur expression, je pourrais me plonger dans tes yeux des heures, mais j’ai peur de m’y noyer, de m’y dissoudre ; je veux rester moi-même, légèrement distante, te demander ci ou ça, résister à la tentation de fusionner, car ce n’est pas ce que tu attends. Tu espères sûrement plein de choses que je ne pourrai jamais t’offrir : des coups de fouet, de martinet, mais je ne veux pas marquer ton joli corps, sauf de mes ongles peut-être. Tu attends sans doute des séances d’humiliation, tu aimerais être traité plus bas que terre, méprisé, insulté, giflé… je ne pourrais pas non plus, je souffrirais encore plus que toi !
    Tu me seras fidèle, entièrement, tu me fais don de ta sexualité, quitte à rester chaste si tel est mon caprice. Moi, je ne me priverai pas, y compris devant toi, te demandant même de participer le cas échéant, pour mon plaisir, le plaisir de mes yeux.
    Je t’emmènerai partout, je te traînerai en laisse à ma suite, où je veux. J’aime te savoir non loin de moi, mais hors de question que cela entame ma liberté ! Je veux continuer à aller et venir au gré de mes envies, regarder d’autres hommes, m’arrêter auprès d’eux peut-être. Tu resteras présent à mes côtés, tout contre moi, à mes pieds, ignoré, attendant que je te considère enfin. Ou bien si tu m’encombres, tu patienteras quelque part selon mes consignes, à l’endroit que je t’indiquerai, seul et délaissé. Interdiction de musarder, je dois pouvoir compter sur toi ! Tu peux compter sur moi, jamais je ne t’oublie, quoi que je fasse. Malgré moi, toutes mes pensées sont tournées vers toi, avec affection, et plus encore. Tu endures tant pour moi !
     Je veux pouvoir réchauffer mes mains glacées par l’hiver à même ta peau brûlante ; je veux poser mes pieds sur ton torse, te laisser me les masser pendant que je travaille ; je veux des massages de mes mains, des épaules, de mes bras, tout ce qui souffre quand j’écris trop, aussi longtemps que j’en ai envie ; je veux des heures de caresses, de baisers, car je ne suis jamais rassasiée de tendresse, de mots doux, et plus tu m’embrasses, plus j’ai envie de continuer, plus tu me donnes du plaisir, plus j’en redemande, plus tu me couvres de compliments, plus j’ai besoin de t’entendre encore… C’est une spirale infernale et délicieuse, je ne sais pas où elle s’arrête, ni si elle a une fin.
     Je suis tentée aussi de te faire entrer dans ma vie, bien plus. Je t’aménagerai un endroit chez moi, une chambre, tu y habiteras, mais le plus souvent, tu dormiras au pied de mon lit, à ma disposition. Tu seras toujours présent pour m’aider dans toutes mes tâches, les corvées, les courses. Tu seras mon chauffeur, livreur, porteur, assistant, secrétaire… Je t’emmènerai en vacances, en week-end, tu deviendras mon chevalier servant, mon majordome, mon esclave au quotidien, mon accessoire indispensable. Une partie de moi-même dont je ne peux plus me passer, au risque de m’amputer.
     Mais j’ai surtout envie que tu sois mon partenaire sexuel préféré pour toutes sortes de jeux. Tu seras celui qui me donnera plein de plaisir, à tout moment, de tes doigts légers, de ta langue dévouée. Tu ne me lâcheras pas, dussé-je mettre des heures à jouir, ta langue engourdie de fatigue ne m’abandonnera jamais. Ton sexe sera toujours prêt à me pénétrer quand je le souhaite. Je te sucerai parfois, ou je te demanderai de me prendre fort, mais attention, je serai toujours ta domina, même à ces moments-là… surtout à ces moments-là ! Tu ne seras que l’instrument de mon plaisir, mon sextoy de chair et de sang dont je raffole.
    Parfois, j’aurai envie de plaisirs plus épicés, je convierai un deuxième soumis, vous me caresserez de conserve, vous aurez les yeux bandés tous les deux, ou seulement toi, ou bien je te laisserai regarder au contraire… Tu te dévoueras à mon plaisir pendant que je l’embrasserai à pleine bouche, vous vous disputerez mes faveurs, mais en silence, car je ne supporte que la douceur… Je tenterai de réveiller ta jalousie, par tous les moyens, mais j’échouerai, car ce ressenti t’est inconnu ; seuls mon bonheur, ma satisfaction ont de l’importance à tes yeux. Sans doute aussi parce que tu sais que tu es le seul qui compte en réalité ! Mon seul soumis, je n’en voudrais aucun autre, le plus adorable des soumis dont je puisse rêver.
     J’irai plus loin encore. J’inviterai des amants dans mon lit pendant que tu m’attendras non loin, dans une pièce voisine, tu entendras mes cris de jouissance, mes plaintes s’ils me prennent trop vigoureusement.
    Je t’emmènerai dans un club libertin, je me donnerai à tous les inconnus qui me veulent, sous tes yeux. Tu t’inquièteras peut-être, tu tenteras de me ramener à la raison, de m’arracher de leurs bras impatients. Je t’enverrai au diable, car je voudrai savoir jusqu’où je peux aller sans entamer ton abnégation, ton envie de me servir et de me vénérer. J’aurai besoin de te savoir là, même si je vais loin, trop loin. Je testerai tes limites, ton goût pour la frustration, je te ferai souffrir peut-être, tu souffriras pour moi si je suis prise sans douceur, avec un désir rude et brutal, dont j’ai besoin parfois pour exister, me sentir bien vivante et m’envoler.
    Et puis tu me ramèneras à la maison, tu me berceras, me cajoleras, je serai heureuse de me blottir dans tes bras, de terminer la nuit sous une pluie de baisers et de douces déclarations qui me berceront et me rendront heureuse.
     J’ai tant de fantasmes égoïstes ! Si tu savais…
     J’ai des scrupules parfois, j’ai aussi envie que tu t’épanouisses, voles de tes propres ailes. J’ai envie de t’aider à réaliser tes rêves, à vivre ta vie, au lieu de t’obliger à rester dans l’ombre de la mienne, de te garder juste pour moi, sous ma coupe, sans existence autre que celle d’être à mon service, seulement soucieux de mon bien-être, de ma satisfaction et de mon plaisir. Ai-je le droit de te garder ainsi prisonnier !
    Je voudrais t’aider à te libérer de tes démons, à sortir de ta chrysalide d’éternel jeune homme, même si tu me plais ainsi, à peine sorti de l’adolescence, avec encore une certaine innocence, une confiance que tu donnes trop rapidement, une gentillesse à toute épreuve qui me fait craquer et qui te met en danger.
    Par-dessus-tout, j’aimerais tant que tu te contentes de ce que je t’offre, que tu sois heureux simplement avec moi, à ne rien faire de ta vie, sauf rester à mes pieds.
     Je tiens tellement au lien si particulier qui nous unit. J’en pressens les risques aussi, l’enfermement, quand j’aime tant la liberté, la tentation de fusionner au point de tout oublier, d’envoyer au diable mon métier, mes amis, ma famille, pour qu’il ne reste plus que toi dans ma vie.
         Ta maîtresse impitoyable, heureuse de te supplicier sans répit et d’être choyée en retour.

    Photo : Venus in furs

2 commentaires

  1. Clarissa a écrit :

    Merci beaucoup pour ce retour qui me touche beaucoup !

  2. Tibo a écrit :

    Très beau texte, très juste aussi, la dominatrice romantique est tout sauf un oxymore, car le romantisme est passion, ce que décrit subtilement cette histoire d’attachement

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