Le pouvoir des jardins sur nos aspirations romantiques !
Même le couple le plus blasé, le plus cynique, le plus usé par les soucis du quotidien, les caprices des enfants, les corvées variées, ne saura résister…
Un jardin, des fleurs, une promenade main dans la main, et on prend – ou on reprend – « perpet’ » ! Si on s’échappe, si on s’arrache à l’attraction fatale et aux charmes puissants des senteurs et de la chaleur, on rechutera tôt ou tard, alors ça ne sert à rien de fuir, autant revenir dans le jardin fleuri et se laisser enfermer dans des bras protecteurs.
Voici donc mon fantasme du jour, celui de la pire midinette qui soit : le grand amour romantique pour la vie ; et sa métaphore idéale : le jardin merveilleux accueillant deux amoureux, depuis leurs tendres amours naissantes, jusqu’aux étreintes torrides….
Un fantasme éthéré, romantique… un peu érotique aussi.
***
Chaque couple possède sa légende, son mythe fondateur, ce moment magique de leur rencontre, ce premier instant où ils ont senti un intérêt, une attirance pour l’autre, ce moment aussi où ils auraient pu se rater. Ils en ont encore des frissons en y repensant : et s’ils avaient renoncé à cette soirée ? Ils avaient failli ne pas y aller après tout ! S’ils avaient raté ce train ? S’ils avaient choisi la Plagne au lieu d’Avoriaz ? S’ils ne s’étaient pas inscrits dans cette association ? S’ils avaient choisi une autre université ? Toute leur vie aurait changé… Ils en frémissent, ils sont faits l’un pour l’autre, et leur rencontre ne tient qu’à un fil du destin. Ils s’étreignent fort pour se rassurer, tout s’est bien passé ! Cupidon veillait au grain…
Eux, ils se sont rencontrés à la fac, dans une association. Ils se sont très vite rapprochés, les deux timides romantiques, égarés dans ce club de joueurs cyniques et survoltés. Lui, épris de jardins, de nature, de forêt ; elle, de littérature romanesque du XIXe siècle, Jane Austen, Stendhal, et tous les autres. Bientôt, il l’emmenait dans son jardin préféré. Ils passèrent un printemps enchanteur main dans la main, se promenant chastement entre les massifs de fleurs, échangeant leurs rêves, se découvrant, se taquinant. Ils s’allongeaient sur l’herbe, jouaient cache-cache avec le gardien et ses coups de sifflet rageur. S’asseoir sur les pelouses n’était pas encore autorisé. Elle aimait ces courses poursuites, se lever vivement, se mettre à courir en riant, troublée par sa main dans la sienne, avant de s’abattre à nouveau sur l’herbe, essoufflée, rouge de plaisir, éperdue, brûlée vive par son regard vert. Jusqu’à ce que le gardien les déloge à nouveau.
A l’abri des feuillages, il reprenait sa main, la portait à ses lèvres pour l’embrasser doucement. Ce simple contact l’enflammait. Elle avait l’impression de chuter sans fin, quand lui se contentait de rire nerveusement. Est-ce qu’il se moquait d’elle ? Elle devait avoir l’air ridicule… Elle reprenait vite ses distances, ils chahutaient comme des enfants. Il ne tardait pas à chercher sa main à nouveau. Sans sourire cette fois. Ils ne faisaient rien d’autre, ce contact suffisait à leur broyer le cœur. Il tentait parfois de l’embrasser maladroitement, mais elle détournait son visage, rougissante, ne lui offrait que sa joue, évitant de franchir un pas de plus. Si elle cédait, elle savait que ce serait la fin de leur épisode romantique auquel elle tenait tant. Elle le désirait tant pourtant ! Elle voulait qu’il se montre plus empressé encore, qu’il la bascule, qu’il la bouscule. Il ne faisait rien de tel. Il prenait ses dérobades au sérieux, se retenait, souffrait en silence sans doute, sans ce douter qu’elle souffrait bien plus encore.
Au fil du temps, ils réussirent, malgré leur timidité, leurs malentendus et leur inexpérience à s’unir, sans doute avec l’aide de quelques coupes de champagne, poussés par leurs amis aussi qui n’en pouvaient plus de leurs regards transis. Depuis, ils viennent fêter chaque année leur rencontre dans ce jardin enchanté, là où tout a commencé.
Le jardin qui les avait envoûtés cette année-là n’a rien perdu de son pouvoir. Elle en est certaine, il possède un puissant pouvoir magique, elle se sent transportée dans un autre monde, un autre temps dès qu’elle franchit les grilles dorées. Le temps n’existe plus, ils pourraient aussi bien se promener au cœur du XIXe siècle. Le jardin n’a pas cédé à la mode de l’art contemporain, ni à la construction de bâtiments, de jeux pour enfants… tout ce qui a tant enlaidi et vulgarisé d’autres parcs, où le béton l’emporte sur la nature. Leur jardin, lui, ne se consacre qu’aux fleurs, aux arbres ; il ne propose aux promeneurs que de fausses ruines, des kiosques romantiques, des grottes artificielles. Chaque année, elle s’étonne : y avait-il déjà un chemin là ? Et cette caverne, elle ne l’avait jamais remarquée… Un jardin mouvant, mystérieux, toujours changeant… des histoires fantastiques naissent dans ses pensées avant de s’envoler.
Vingt ans plus tard, leur rituel reste immuable, ils redécouvrent ce jardin merveilleux dès les premiers signes du printemps. Bien sûr, ils ne se montrent plus aussi romantiques qu’au temps de leur jeunesse ; elle n’est plus une jeune fille en fleur, il n’est plus tout à fait un prince charmant ; mais le charme opère, le voyage dans le temps s’amorce, elle se sent chuter à nouveau vers lui, elle retrouve sa timidité d’alors, son désir tout neuf.
Ils n’ont jamais osé aller plus loin que de sages baisers malgré le réveil de leurs élans et la confiance gagnée avec les années. Mais cette fois, elle rêve de fêter leur amour comme il le mérite, de secouer son amant décidément trop raisonnable, dut-elle le violer. La moutarde lui monte au nez. Il ne pense qu’aux fleurs, lui donne des cours de semence durable, de bêchage et compostage, quand elle ne pense qu’à l’amour. Le romantisme a peu à peu déserté leur relation, il n’est plus au cœur de leur quotidien depuis longtemps… Il est temps de le remplacer par l’érotisme avant que le jardinage n’envahisse tout, et que leur promenade préférée ne se transforme en une observation fine de l’évolution du travail des jardinier au fil du temps – Parfois, il est même tenté de leur faire la causette au lieu de lui conter fleurette !
Pour l’instant, ne pas l’effaroucher. Elle se contente du plaisir de se promener à ses côtés, de caresser sa main douce, ses bras nus où des poils blonds volettent sous la brise tiède. Elle détourne les yeux, elle aimerait planter ses dents dans cette chair blanche. Elle se sent carnassière quand lui évoque leurs premiers émois avec délicatesse et nostalgie. Qu’il aille au diable ! Ce qui compte, c’est maintenant ! Son désir s’exacerbe, elle voudrait qu’ils s’étendent sur la pelouse, le dévorer sans parlementer plus longtemps, au lieu d’humer le parfum des fleurs et se remémorer la jeune fille disparue qu’elle était, si gauche, si maladroite. Qu’elle aille au diable elle aussi !
Elle ne pense qu’à ça, profaner ce lieu sacré entre tous, elle se rapproche de lui, inconsciemment. Elle doit le regarder différemment sans doute, car il s’interroge. Cela fait un moment que sa chérie n’accorde qu’un intérêt distrait aux boutures, aux nouvelles roses, et même aux canetons qui pédalent à toute vitesse sur les pièces d’eau… Il connaît ce regard là, il s’en amuse. Elle a les joues bien rouges aussi, mais c’est vrai qu’il fait chaud, c’est presque l’été. Juin déjà. Ils ont un peu dépassé la date du printemps cette année. C’est raté pour les jonquilles, le muguet, mais la roseraie explose de couleurs et de parfums, les roses s’épanouissent et embaument.
Elle continue de les ignorer, les fleurs ont perdu leur charme, seul compte l’homme à ses côtés. Le soleil ardent de juin chauffe sa peau, échauffe ses sens. Elle respire discrètement son odeur d’homme qui a trop chaud, elle se sent moite, affaiblie de chaleur. Elle prétexte une faim de loup, réclame une pause tandis que son chéri lève les yeux au ciel. Qu’est devenu sa marcheuse infatigable qui vivait d’amour, d’eau fraîche et de musique ? Elle sourit, ne lui répond pas. Elle n’aspire qu’à se blottir dans ses bras, caresser son torse musclé, velu, apprécier les quelques rondeurs qui ont enfin remplacé la minceur de sa jeunesse. Il se rend, déniche une clairière à demi abritée par des arbres hauts, déplie la couverture. Pour ne laisser aucun doute sur ses intentions, elle s’y allonge de tout son long, avant qu’il n’étale leurs victuailles.
— Je veux te goûter d’abord !
Il ne résiste pas plus longtemps à ses regards provocateurs. Elle lui plaît toujours autant, les rayons du soleil jouent dans ses cheveux, ses joues rosissent de plaisir, elle se tortille d’impatience en lui tendant les bras. Oubliée la timidité de sa jeunesse ! Il s’allonge à son tour tout près d’elle, l’attire sur lui. Elle est restée légère comme une plume… Ses longs cheveux chatouillent son cou, il rit et se venge en l’embrassant passionnément. Il sent le corps de sa bien-aimée se tendre, se presser contre le sien, le chercher ; il s’enflamme à son tour. Le désir lui fait perdre la tête, il veut toucher sa peau à tout prix. Il soulève sa longue jupe noire de gitane, et tente l’impensable, bien caché par l’ample jupe. Il descend son pantalon avec des précautions infinies. Elle retient son souffle, se relève à demi pour l’aider de son mieux, tandis qu’il écarte le devant de sa jupe. Il libère sa verge, et, vérifiant qu’ils sont bien à l’abri sous le tissu noir, la pénètre tout doucement. Ils bougent le moins possible, lentement, osant à peine respirer. Ils se serrent l’un contre l’autre à s’étouffer. La jouissance les saisit, vite, en même temps. Elle rit de plaisir dans son cou pour éviter de gémir trop fort, réjouie par cet orgasme imprévu.
Un peu confus, ils se rajustent, se redressent vivement. Il était temps ! Un jardinier poussant une brouette s’avance dans leur direction. Ils échangent des regards brillants de joie et d’amour, avant de se mettre à rire. Ils ne verront plus jamais leur jardin comme avant, ils ont piétiné le sanctuaire de leur jeunesse et gagné un fantastique terrain de jeu avec ses grottes, ses tunnels, son labyrinthe… elle compte bien en profiter ! Elle se met à courir sur l’immense pelouse, poursuivie par son satyre préféré. Elle sent déjà son souffle chaud dans sa nuque, il va l’attraper, la jeter sur son épaule, l’emmener dans sa caverne. Elle va se laisser enlever, leur trop courte étreinte l’a laissée sur sa faim, le désir lui mord le ventre.
Spéciale dédicace à un amoureux des jardins… Joyeux anniversaire avec un peu de retard !
Photos : le jardin le plus romantique des environs de Paris – Attention, danger !