Une romance de Noël…
– l’occasion de tester l’écriture à la première personne, pour une fois
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Sombre époque… Mes amants fringants sont remplacés par des oncles chenus, des tantes dépassées flanquées de leurs ados maussades, les soirées dansantes et olé olé par d’interminables repas de famille – un peu trop élargie, fallait-il vraiment inviter ces cousins grognons ! Les mots aigres-doux couvent en dépit de la trêve de Noël, les piques s’échangent en rafale et volent au-dessus des têtes, sous prétexte de taquineries. De vieilles rancœurs remontent à la surface malgré la dinde cuite à point, on est à couteaux tirés devant la buche plus tout à fait glacée, dégoulinante de sauce chocolatée… Ma belle-mère parfaite frôle le burn-out et résiste visiblement à grand-peine à l’envie de chasser l’assemblée dissipée qui engloutit son festin, préparé avec tant de peine et d’angoisse. Nous nous en serions bien passés en réalité, déjà alourdis par les canapés de l’apéro ; on se force, par égard pour ses efforts en cuisine. On mange trop, on boit trop… moi surtout, pour endurer l’ambiance pesante et les reproches latents, fichue empathie. L’hystérie des enfants monte d’un cran, c’est le temps des cadeaux, déballés frénétiquement en quelques secondes. Leurs exclamations de joie réchauffent les cœurs secs, tandis que du côté des adultes ce ne sont que cris de surprise ratés et sourires factices devant l’éternel foulard ou sa compagne des mauvais jours, l’écharpe… La magie de Noël ! grince ma belle-sœur entre ses dents, me faisant éclater d’un rire nerveux. Et puis il s’agit de se mettre en branle vers l’église mal chauffée : arracher les enfants à leurs jouets tout neufs, les harnacher de bonnets, de gants, les tracter dans la nuit, pour écouter le curé de campagne qui s’épanchera longuement dans un patois difficilement compréhensible pour nos délicates oreilles parisiennes. Une veillée de Noël soporifique à souhait, suivie de la traditionnelle messe de minuit, à peine égayée d’une guitare sèche, d’un tambourin aigrelet et d’une chorale famélique, histoire d’améliorer l’ordinaire… Sans oublier la ribambelle d’enfants de chœur, les mauvais garnements du patelin ramassés par le curé et enrôlés de force, dont ce grand échalas efflanqué avec son début de moustache… sera-t-il encore là cette année ? Je ne le saurai jamais, car cette année, ce sera sans moi, je fais de la résistance ! J’estime qu’à mon âge, j’ai le droit de faire ce que je veux et d’affirmer haut et fort mon anticléricalisme ! (bon, ma flemme soudaine et mon ivresse, voyons les choses en face)
— Chéri, tu peux me resservir une coupe de champagne s’il te plait ?
— Tu es sûre ?
— Oui, mille fois, oui !
— Tu arriveras à marcher jusqu’à l’église ? On part dans quelques minutes…
— Allez-y sans moi, je renonce…
— Tu ne te sens pas bien ? Je reste avec toi si tu veux…
— Noooon, tout va bien ! Allez, rejoins-les, tu vas être en retard…
Mon chéri me fait un clin d’œil et cours rejoindre sa famille. Il n’est pas dupe, il me connaît trop bien !
La porte claque, le silence s’installe dans la maison, régénérant, une vraie cure de jouvence. Je me détends enfin, bercée par le feu de bois qui crépite, les paquets de neige qui chutent du toi… J’hésite à me mettre en pyjama pilou pilou tout de suite, me débarrasser de cette dentelle qui gratte, mais la paresse me gagne. Je savoure ma coupe lentement, goûtant le bruit léger des flocons qui tourbillonnent. Tiens des grelots près de la maison… Soudain, on sonne à la porte et je sursaute, étouffant un cri ; moi qui espérais être tranquille ! Sûrement un cousin qui a oublié son téléphone… ou un colporteur solitaire qui vient vendre un calendrier ? Je me lève en soupirant pour ouvrir à l’étourdi.
Le père Noël !
Il m’adresse un sourire ravi.
— Vous êtes seule ? s’enquiert-il en jetant un coup d’œil à l’intérieur.
J’éclate de rire, surprise et éméchée.
— Et moi qui croyais que vous passiez par la cheminée !
Il ne se démonte pas, il franchit le seuil d’autorité, couvert de neige qui se met à fondre en petites flaques sur le sol. Super, je vais devoir passer la serpillère. Il s’ébroue comme un chien mouillé et m’asperge au passage, me rafraichissant les idées. Il se justifie en me souriant d’un air espiègle.
— Les cheminées disparaissent au profit des chaudières, et on a arrêté, suite à quelques accidents. Désormais, on sonne à la porte ! Ce qui ne m’empêche pas d’être brûlant, fait-il avec un clin d’œil.
Je préfère couper court à cette tentative lourde de drague. Ai-je l’air si pathétique que ça, seule une nuit de Noël, chancelante sous l’effet conjugué du champagne et de son regard perçant ? Je me félicite d’avoir renoncé au pyjama en tout cas.
— Bon, vous vendez quoi, des cartes de Noël ou des calendriers ?
— Rien de tout ça, je suis le père Noël, le vrai, et voici votre cadeau !
Il me tend une enveloppe que je m’empresse d’ouvrir, curieuse.
Faites de moi ce qu’il vous plait. Je suis à vous les deux prochaines heures.
Je le regarde, sidérée. C’est quoi, ça ? Une nouvelle tactique pour emballer facilement, sous prétexte de magie de Noël ? J’essaie de me montrer contrariée, mais je m’attendris déjà, je considère ses yeux bleus, ses bras musclés qui percent sous le manteau rouge, son sourire éclatant de blancheur… Il me sourit de plus belle, m’encourage, et déboutonne de lui-même les gros boutons blancs, révélant un poitrail musclé à souhait. J’en salive d’avance ! Il me sent timide encore, et prend ma main pour la poser directement sur sa peau brûlante – il n’avait pas menti.
— Je vous promets un moment féérique ! N’hésitez pas… nous avons deux bonnes heures devant nous, une éternité…
Ma main se lance toute seule à la découverte de son corps sculpté. Bientôt ce sont mes deux mains qui explorent son corps sous toutes les coutures. Je n’ai plus de volonté, je me sens toute faible et pleine d’énergie à la fois… Ma bouche se pose sur sa peau, butine son poitrail, son ventre… Je ne maîtrise plus rien, je ne pense qu’à déguster mon cadeau. Mon désir s’enflamme, me brûle vive, je le dévore de baisers au point de l’étouffer. Sa fausse barbe et sa perruque valsent, un beau brun apparait, miam, je vais le manger, je vais le… Il saisit mes mains au vol.
— Doucement madame, prenons tout notre temps ! Et moi, est-ce que je peux faire ce qui me plaît ? Est-ce que vous êtes à moi autant que je suis à vous ?
Je lui réponds oui, dans un souffle, et m’abandonne à sa poigne.
Quel délice de se blottir tendrement dans les bras l’un de l’autre après avoir tant joui ! Je ferme les yeux, heureuse de sentir sa respiration dans mon cou, sa main qui se fait lourde autour de ma taille…
Une sonnerie nous fait sursauter. Le père Noël se dégage de mon étreinte et s’étire.
— Je dois me sauver, c’est l’alarme de mon téléphone ! Vous avez aimé votre cadeau madame ?
Il se rhabille et se sauve sans attendre ma réponse. Je m’affale sur le canapé, exténuée et comblée. Sur ma peau, je respire son odeur musquée, sa sueur, autant de parfums qui m’emplissent de nostalgie. Je me reprends, vite, une douche avant que tout le monde ne rentre, et ne soupçonne l’impensable en me voyant défaite.
Je suis à peu près présentable quand la famille revient, après s’être copieusement ennuyé à la messe.
Mon chéri me fait un bisou glacé et me glisse à l’oreille.
— Alors, il t’a plu mon cadeau de Noël ? Normalement, c’était prévu pour plus tard, quand tout le monde dormirait, mais vu que tu restais à la maison le temps de la veillée de Noël, j’ai avancé le rendez-vous, ça arrangeait le père Noël, et je me suis dit que tu serais plus en forme qu’au milieu de la nuit… J’ai bien fait ?
Pour toute réponse, je lui saute au cou ; c’était génial ! Je m’en veux de l’éternel pull offert cette fois encore, comme chaque année, alors qu’il m’a concocté la plus belle des surprises. Je bats des cils et lui chuchote à l’oreille.
— J’ai un autre cadeau pour toi, dès que toute la smala sera au lit !
Heureusement, cela ne tarde pas, le curé ayant donné le coup de grâce avec son homélie laborieuse. Je pose un casque sur les oreilles de mon homme et sur les miennes, et lance une musique langoureuse. C’est parti pour un strip-tease d’anthologie ! Suivi d’une fellation digne d’une escort professionnelle – enfin j’espère, je me vante peut-être ! Mais d’après ses gémissements, on dirait qu’il apprécie. Je ne voudrais pas qu’il en profite trop non plus, je m’interromps sadiquement.
— Maintenant, baise-moi ! Ton cadeau a dû se sauver un peu vite tout à l’heure… J’aurais bien aimé recommencer !
— Il s’est montré à la hauteur au moins ? Bientôt la Saint-Valentin, je pourrais peut-être le convier à nouveau…
L’excitation me saisit à la pensée de le revoir, de goûter à nouveau à l’extase entre ses bras musclés…. même si j’adore mon intello de mari et ses lunettes d’écaille ! Folle de désir, je le pousse vers le canapé encore chaud de nos ébats avec le père Noël et le chevauche sans autre forme de procès. Il plaque une main sur ma bouche pour étouffer mes cris, et me rend dingue en m’empêchant de m’exprimer. Je me démène sur lui de plus belle, jusqu’à ce qu’il me retourne d’autorité et m’écrase de tout son poids. Je me rends, heureuse d’être sa prisonnière, apaisée, et nous nous aimons le plus tendrement du monde. Des images du père Noël s’imposent dans mes pensées, tandis que mon mari caracole de plus belle en moi – excité peut-être d’avoir organisé cette surprise, et pensé à moi pendant l’homélie, en train de jouir sous les assauts d’un autre ?
Joyeux Noël murmure mon mari en me mordillant l’oreille. Je me retiens de rire, je crains que mon orgasme ne m’échappe si mon rire fuse, mais c’est irrépressible, les deux explosent en même temps, ma jouissance et mon fou rire, et c’est divin ! Je pleure de rire et de plaisir, et serre fort mon mari contre moi. C’est le plus beau Noël de ma vie, et même l’assemblée grincheuse qui m’attend demain autour d’un repas pantagruélique ne m’empêchera pas de sourire aux anges !
***
Note de l’autrice : le début grinçant, c’est pour rire ! En vrai j’adore Noël, malgré le stress de tenter l’impossible : faire plaisir à tout le monde avec des cadeaux ad-hoc pour chacun et chacune ! Le sapin, la crèche, les décorations, les gâteaux de Noël, les cousins de province qu’on n’a pas vu depuis belle lurette, les téléfilms de Noël enfin assumés pour ricaner et critiquer en famille, et camoufler la petite larme qui s’échappe malgré l’agacement devant tant de mièvrerie et le mauvais jeu des acteurs, le champagne qui coule à flot pour endurer le bonheur familial, et l’amour étouffant des proches qui osent enfin s’exprimer en ces jours de liesse… Trop bien !!
– Photo : téléfilm Sous le charme du père Noël