Où tout est bien qui finit mal ! Et vice versa 😉
Épilogue (Clarissa)
Même si la mise en scène avait pris le pas sur les atroces souffrances espérées par l’assistance, le show de Luciférine connut un profond retentissement.
Satan lui-même s’était déplacé en secret, attiré par des clameurs inhabituelles.
Afin de ne pas interrompre le spectacle, il avait pris l’apparence d’un démon mineur. Tous se seraient prosternés sinon, saisis. Il s’amusa énormément à obéir aux injonctions de Luciférine qui le traitait comme le dernier des larbins : il planta la croix dans le sol, tendit divers accessoires au fil des demandes de la démone, et s’éclata comme un jeune démon. Cela lui rappela le temps jadis, quand on pouvait torturer à sa guise, à l’instar des hommes sur Terre. C’était bien fini à présent, les hommes avaient gagné en sagesse, obligeant l’enfer à suivre le mouvement, au moins un peu. Là, il avait retrouvé l’ambiance infernale moyenâgeuse qu’il goûtait tant !
Luciférine avait réussi un coup de maître ! De maîtresse plutôt, avec cette séance digne des grandes heures de l’enfer, tout en respectant les exigences de l’enfer moderne : des souffrances adaptées aux crimes commis, point d’excès dans le sadisme, la punition doit permettre au pécheur de se repentir, voire de s’amender, etc… C’était d’un chiant ! Mais Luciférine avait compensé cette démagogie dégoulinante par sa créativité et son sens de la scène.
Grâce à elle, tous les démons avaient retrouvé leur sourire plein de dents, y compris lui-même, le maître des lieux. Un véritable tour de force ! Qui valait bien une paire d’ailes… Luciférine en rêvait depuis si longtemps ! Satan s’était délecté de sa frustration, jouant avec son exaspération en les lui faisant miroiter, attisant son côté rebelle grâce à la complicité de son sbire Luxious, le bel ange déchu. Ces ailes, il avait envie de les lui offrir à présent, même s’il commettait une injustice : Luciférine n’en faisait souvent qu’à sa tête et se rebellait contre toute forme d’autorité, quand tant de démons courbaient l’échine, dévoués et loyaux, léchant ses sabots à la moindre occasion. Mais on était en enfer, et cela valait aussi pour les démons, ils n’étaient point là par hasard ces brigands, et ne perdaient pas une occasion de se tirer dans les pattes !
Satan entendait déjà leurs protestations pleines de fiel, car Luciférine ne se contentait pas de désobéir, de se braquer, elle faillait à sa mission : elle délaissait les pécheurs dont elle avait la responsabilité pour se consacrer uniquement à Valentin. À sa décharge, il ne manquait pas de potentiel, elle avait eu raison de l’exploiter ! Quelle chance que Luxious se soit occupé de ses âmes abandonnées, malgré la charge de travail supplémentaire que cela représentait. Sans doute par sadisme, Satan ne se faisait pas d’illusion. Luxious se révélait insatiable, il lui fallait toujours plus de corps à martyriser. Il irait loin !
En réalité, Luxious s’était chargé du travail de Luciférine pour une toute autre raison, une raison innommable, le pire tabou qui soit, car même en enfer, il existait un tabou : l’amour. L’amour n’avait rien à faire là, un tel « crime » vous offrait un ticket sans retour vers le paradis, après quelques millénaires d’ennui au purgatoire, avant de s’ennuyer encore plus sans les plaisirs de la chair, en chantant et priant sans fin, purs esprits déincarnés. En enfer, les plaisirs de la chair étaient vivement encouragés au contraire – pour les démons, cela va sans dire. Le plaisir ne faisait pas partie du menu proposé aux pêcheurs. Seuls la souffrance, le chagrin, la frustration, la douleur avec toutes leurs nuances figuraient au programme.
Heureusement pour Luxious, jamais Satan n’imaginerait jamais une incongruité pareille chez l’un de ses plus fidèles lieutenants. L’amour, ce mot n’existait même plus dans son vocabulaire. L’époque où il était encore un ange s’enfonçait dans les brumes du temps. Il ne se souvenait que de sa chute, et de son règne ensuite, en toute puissance, sur le mal et la misère du monde.
Luxious n’avait pas l’intention de dévoiler son jeu malgré tout. Son amour pour Luciférine resterait secret pour toujours, y compris pour la principale intéressée. Il guetterait les occasions de se rapprocher d’elle, pourquoi pas dans la salle des luxures. Et puisque les voilà enfin sur un pied d’égalité avec ses ailes, il renonçait à lui envoyer pique sur pique pour la rendre folle (de lui), il allait lui proposer de mener des séances de punition à deux plutôt !
Luciférine n’était pas la seule à avoir attiré l’attention du malin. Satan avait remarqué l’abnégation sans faille de Valentin : ce condamné avait enduré la peur, les souffrances, les quolibets de la foule avec dignité, murmurant sa vénération… et ses péchés, en particulier le dernier, l’avaient réjoui. Cette âme damnée sortait du lot décidément, et serait récompensée également au passage.
L’avis de Valentin ne fut pas requis, ce n’était pas l’usage ici-bas. On négligea également de le prévenir.
La récréation était terminée, Satan s’était bien amusé, il avait distribué les bons points, ricané devant les mines dépitées de ses seconds couteaux. Il se tournait maintenant vers d’autres affaires urgentes, revigoré et plus terrifiant que jamais.
À son réveil, Valentin sentit tout de suite que quelque chose avait changé : une force nouvelle circulait dans ses veines, une énergie surnaturelle, et son front lui faisait un mal de chien — des cornes transperçaient sa chair. Et il ne s’appelait plus Valentin, mais Valdur, en hommage à sa virilité exacerbée et ses pulsions d’antan. Devenu démon mineur, il était officiellement nommé souffre-douleur de Luciférine, à son service pour l’éternité. Luciférine avait pris du galon elle aussi et ne se sentait plus de joie ! Elle lissait ses ailes toutes neuves, en riant de joie et de fierté. Elle les déploya et s’envola, surplombant un instant Valentin, alias Valdur, avant de fondre sur lui avec un cri de victoire. Valentin aurait eu les tympans percés et un arrêt cardiaque, mais Valdur était d’une autre trempe. Il accueillit sa démone entre ses griffes et entoura sa taille de sa longue queue fourchue. La démone en fit tout autant. Ils se dévorèrent de baisers et s’enflammèrent de concert.
Le gong du rassemblement général mit fin à leur brûlante étreinte. Luciférine s’envola sans attendre Valdur, ce vermisseau rampant. Elle croisa Luxious dans les airs, ils se sourirent.
— Félicitations Luciférine, c’est plus que mérité, j’ai admiré ton spectacle grandiose !
Luciférine n’en crut pas ses oreilles pointues ; quoi, il ne persiflait pas, que lui arrivait-il ?
Elle lui lança un regard flamboyant et s’envola plus haut d’un battement d’ailes triomphant, projetant des étincelles crépitantes autour d’elle. Elle avait hâte de voir l’arrivage des âmes perdues du jour ! Il lui en fallait une nouvelle, avec la récente promotion de Valentin… Valdur ! Elle allait devoir s’y faire, les voilà devenus collègues. Dieu merci, il restait sous sa coupe, et elle n’était pas spécialement pour le management coopératif ! Il avait intérêt à lui obéir au doigt et à l’œil. Elle prendrait bien sous ses ailes une petite pécheresse pour changer ; il lui venait des idées de sévices, avec la complicité de Valdur.
Luxious ne l’entendait pas de cette oreille, passablement énervé que Valdur rejoigne leurs rangs. Ce coquin avait tiré son épingle du jeu à force de ruses et de minauderies, mais hors de question qu’il s’immisce entre lui et Luciférine. Il fallait écarter au plus vite ce cloporte. Luxious allait le recommander pour une mission sur Terre : pervertir des âmes innocentes ! Valdur était le démon idéal pour soumettre à la tentation les âmes pures, exacerber les désirs lubriques des pauvres mortelles, ce n’était pas Luciférine qui allait le contredire… Enchanté de son idée, Luxious rattrapa Luciférine et lui prit la main. Ils volèrent de concert à une vitesse vertigineuse, deux torches vives virevoltant dans les airs, aussi heureux qu’on puisse l’être en enfer.
The End
– Photo : Daniel Power, lors de la dernière Sinners Fetish Party : Luciférine aux anges entre Luxious et Valentin-Valdur
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