Le printemps s’est enfin installé, et je ne rêve que de forêts verdoyantes et parfumées, de jardins explosant de fleurs aux couleurs vives… même les insectes m’ont manqué pendant cet interminable hiver !
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C’est bientôt l’été. Il fait déjà chaud. L’air bourdonne des bruissements de milliers d’insectes. La forêt, déjà en manque d’eau, embaume de mille senteurs. Une étrange cérémonie se déroule dans une clairière baignée de rayons de soleils Un garçon fait face à sept ou huit filles. Elles se sont placées en demi-cercle, curieuses, excitées, anxieuses aussi. Elles ne sont pas forcément amies, se côtoient sans vraiment se connaître. Elles sont là un peu par hasard, par bravade, par curiosité surtout. Prendre des risques, transgresser un interdit, partager un secret leur donnent le sentiment de vivre intensément, tout en leur procurant de si agréables frissons. Elles l’ont suivi sur un coup de folie. A son signal, ils ont couru à perdre haleine, jusqu’à ne plus entendre les autres, jusqu’à se perdre. Elles attendent, essoufflées, échauffées, silencieuses. Un peu nerveuses, et angoissées aussi. La course effrénée et inconsciente a pris fin, elles ne peuvent s’empêcher d’imaginer le pire et évitent de se regarder. Elles sont prisonnières. Elles ne peuvent plus revenir en arrière à présent. Elles ne savent pas où elles sont. Ce qui va se passer va les marquer à jamais.
Campé devant elle, Hubert les dévore des yeux. Il a du mal à réaliser sa chance. Il joue les fanfarons, les durs à cuire, les blasés, mais ses yeux brillent de joie et d’exaltation. Il est triomphant, victorieux. Il affiche une arrogance, une désinvolture qu’il est loin de ressentir. Il fait le pitre, en rajoute, émoustillé par ces grands yeux fixés sur lui. Elles se tiennent en silence devant lui, attendant ses instructions. D’un ton sans réplique, il leur explique les règles du jeu. Chacune d’entre elles, à tour de rôle, au moment où il se présentera, devra soulever sa jupe, baisser sa culotte et se laisser observer, aussi longtemps qu’il lui plaira. Il s’approchera à la toucher mais se contentera de l’observer, en détails, de l’admirer tout à loisir. Quand il aura regardé tout son soul, il passera à la suivante, qui se montrera à son tour. Il promet de s’exhiber lui aussi quand il les aura toutes contemplées, elles ont sa parole. Il se livrera à leurs regards, ce sera leur récompense.
L’effervescence monte. L’air se charge d’électricité. Il n’y a aucune porte de sortie, elles n’ont pas le choix, il est trop tard. Impossible de se montrer faible devant les autres. Aucune ne reculera, toutes s’exécuteront. Certaines se dénudent en le regardant droit dans les yeux. Provocatrices, elles baissent leur jupe et leur culotte tranquillement, nullement gênées par son regard perçant qui les regarde fixement à cet endroit précis. Elles affectent de trouver ça parfaitement anodin. Elles jouent les filles expérimentées et haussent les épaules devant de tels enfantillages. Elles arborent une moue dédaigneuse ou des sourires narquois. Mais leur cœur s’emballe, leurs mains sont moites. Des rires nerveux éclatent ça et là. Il ne s’agit pas seulement de se dénuder devant un garçon et de s’amuser de sa gaucherie, il faut le faire devant les autres filles, tout en paraissant à l’aise, sûre de soi.
D’autres, tremblantes, éperdues, émues, timides, gardent les yeux baissés, se forcent à suivre l’exemple de leurs voisines, se font violence, alors qu’elles n’ont qu’une envie, sortir de ce cercle infernal et s’enfuir à toutes jambes, loin de ce rituel malsain. La peur de faillir, d’échouer, d’être rejetées, moquées, les maintient sur place. Humiliées et honteuses, elles descendent maladroitement leur culotte et s’offre à ce regard fixe qui ne cherche qu’à les embarrasser. Hubert sent leur gêne, leur pudeur, il s’en repaît, cela ravit son esprit joueur. Il s’attarde d’autant plus, prend tout son temps, reste longtemps, jusqu’à les faire défaillir. Il affiche un petit sourire en coin, cynique, dominateur. Il joue avec elles, avec leur peur, alors qu’il se contente de les regarder, sans les toucher ni leur parler. Il voudrait que ce moment magique, hors du temps, des conventions sociales, dure toujours. Ils ont inventé une cérémonie, une fête. Elle n’appartient qu’à eux, ils n’en parleront jamais. Ils partagent un secret, un lien qui les soudera pour toujours.
Le voici déjà devant la dernière. Marie ose à peine respirer tandisqu’il s’approche lentement, le sourire aux lèvres et se tourne vers elle. L’attente lui a été insupportable, mais à présent, Marie n’a plus le choix, elle devance presque l’arrivée d’Hubert pour en finir plus vite. Il sourit de son impatience sur laquelle il se méprend. Il regarde la petite culotte blanche tomber dans l’herbe avec satisfaction et relève les yeux vers son ventre. Il s’agenouille pour mieux voir, pour être à la bonne hauteur. Il se perd dans l’admiration de son joli sexe, si bien fermé. Il tremble, il voudrait tant pouvoir le toucher. Il ne sourit plus, ne bouge plus, concentré, dévoré de désir de poser sa main et tétanisé. Marie a perdu la notion du temps. Il lui semble qu’il la regarde depuis des heures, sa respiration chaude l’agace à lui faire mal. Elle voudrait que ce supplice cesse tout en éprouvant un étrange plaisir à obéir et se livrer à ses regards. Elle se regarde aussi, pour ne pas le voir lui, et pour vérifier, inspecter ce qu’il voit, pour se donner une contenance et refouler le sentiment d’humiliation qui menace de l’envahir. De longues minutes s’écoulent. Hubert reprend conscience. Il sent les autres filles s’animer, retrouver de l’assurance. Elles se sont rhabillées au fur et à mesure et le regardent franchement, soulagées d’en avoir fini, curieuses de la suite, de plus en plus impatientes et rieuses. Elles le toisent, chuchotent entre elles, étouffent des petits rires. Certaines ont même le toupet de lui lancer des piques et des provocations qu’il ignore superbement, concentré sur le dernier joli coquillage qui lui soit permis d’admirer et de humer. Son visage approché le plus près possible, il a du mal à s’extraire de sa contemplation, quand les autres filles s’agitent de plus en plus.
Il ne peut plus les faire attendre plus longtemps. Il se secoue et reprend son rôle de meneur, il joue avec elles, se dérobe, les fait languir. Mais elles sont plus fortes à présent, il est devenu leur proie. Les rôles s’inversent. Les plus hardies lui rappellent sa promesse, les autres renchérissent avec des cris insistants. La frustration monte, il ne peut plus différer. Elles scandent son prénom, fort, à l’unisson. Il est pris de vertiges, leurs voix stridentes lui percent les oreilles, son cœur s’accélère au rythme de leurs cris. Il ne peut pas leur échapper. Déjà, elles commencent à s’approcher de lui, l’entourent pour mieux voir, l’encerclent presque.
Son coté espiègle, coquin, taquin, reprend le dessus. Il va leur jouer un tour à sa façon. Il en rit déjà. Il leur a certes promis de se montrer lui aussi, mais n’a pas précisé dans quel sens. Ricanant d’avance, il se déshabille, et se tourne prestement, ne présentant qu’une paire de fesses rondes et blanches, secouées par le rire qu’il laisse éclater. Il exécute une petite danse de sioux et s’éloigne vivement, toujours de dos. Il ne se retourne pas mais perçoit leur mécontentement d’avoir été jouées, trahies, moquées. Furieuses, elles poussent des cris de colère et de déception. Il devine que plusieurs d’entre elles se lancent à ses trousses, chauffées à blanc par les exhortations des autres. Elles le talonnent, le rattrapent. Pieds nus, il a du mal à courir sur le sol inégal et caillouteux. Il doit se rendre.
Il se retourne alors bravement et se livre enfin à leurs regards, en se dandinant gauchement d’un pied sur l’autre, perdant un peu de sa superbe. C’est son tour d’être regardé en silence, longuement. Leur absence totale de réaction augmente son malaise. Il aurait préféré des rires, des sarcasmes à ce silence pesant. Elles paraissent stupéfaites, surprises en tout cas. En réalité, elles n’osent pas l’admettre, encore moins le dire, mais elles se sentent vaguement déçues, sans parvenir à savoir pourquoi. Tous ces efforts, cette mise en scène, pour entrevoir ce mince pinceau de chair, tenu fièrement entre deux mains qui le cachent en partie. Il leur paraît étrange, incongru, insignifiant. Hubert tente de garder la face et le promène sous leurs yeux. Elles ne s’attendaient pas à ça. Elles imaginaient un spectacle grandiose, magnifique, dérangeant, choquant, devant lequel elles se cacheraient les yeux en hurlant. Et voilà qu’elles se penchent sur un minuscule sexe rose et fripé, pressé nerveusement par deux mains impatientes. Elles restent sans voix et ne savent plus comment sortir de cette situation embarrassante.
Soudain, tous se figent et s’interrompent, unis contre le danger. Saisis, ils écoutent attentivement. On les appelle. La voix se rapproche. Pris de panique, ils se rapprochent les uns des autres, apeurés, sonnés, étourdis par ce brusque retour à la réalité. Hubert en profite pour renfiler son pantalon et remettre ses chaussures. Personne ne pense à le huer ou le taquiner. Ils sont tous tendus, ils partagent la même inquiétude. Ils s’interrogent sur leur sort et préparent leur défense. Le coeur oppressé devant l’ampleur de leurs bêtises, ils redeviennent des enfants et attendent, immobiles, la sentence.
***
Une fois de plus mademoiselle Corbier se maudit d’avoir organisé cette sortie en forêt. La fin de l’année approchait, le printemps explosait, les petits bouillonnaient et ne tenaient plus en place. Elle avait voulu leur faire plaisir, aérer ces jeunes citadins confinés dans des appartements. Elle s’en mord les doigts à présent. A peine descendus du car, ils s’étaient transformés en une meute de chiots surexcités et s’étaient égayés en tous sens, à la faveur d’une partie de cache-cache, au mépris des strictes consignes répétées : « restez sur le chemin ». Mais à neuf ans, on ne croit plus au loup ou on ne le craint plus. Tout son petit monde avait galopé hors de sa vue, ivre de liberté, le sang fouetté par l’espace, l’air pur et les senteurs de cette forêt qui avait déjà un peu chaud.
D’abord contrariée, elle devient de plus en plus inquiète. Elle arpente les bois, appelant à tue tête les prénoms des élèves de sa classe de CM1. Elle en a perdu presque la moitié. La plupart des filles et Hubert, ce chenapan, véritable caïd en miniature, dur à cuire déjà, mauvaise graine au visage d’ange. La maîtresse est prise de sueurs froides. Elle devrait déclencher l’alerte auprès de gendarmerie. Elle ne peut s’y résoudre et veut espérer encore, malgré l’heure tardive.
Au détour d’un chemin forestier, elle débouche sur une clairière, et y découvre ses élèves, serrés les uns contre les autres, attendant sagement, les bras ballants. Ils affichent la petite mine modeste de l’enfant qui a désobéi. Ils avancent vers elle, hésitants, intimidés, bredouillant des excuses en désordre, tous à la fois.
– Pardon madame… on s’est perdus…. on ne pensait pas… on croyait que… on ne voulait pas…
La maîtresse ouvre grand les bras, les enfants courent se blottir et s’entasser contre elle. Elle se met à rire de joie, de soulagement, elle serre les petits corps contre sa poitrine et oublie de les réprimander, de leur donner une punition. Ils restent une longue minute ainsi, à savourer ce moment. La jeune femme se reprend la première.
– Venez, suivez-moi, bande de vauriens ! Gronde-t-elle affectueusement.
Tout son visage rayonne, elle sourit largement. Les enfants respirent. Ils n’osent y croire, ils sont pardonnés, il n’y aura pas de sanction. Ils ne se le font pas dire deux fois, ils lui emboîtent le pas, sans parler, sans gambader, se contentant d’échanger quelques regards par en dessous.
Mademoiselle Corbier préféra ignorer ce qui se passa ce jour là au fond des bois. Elle se contenta à l’avenir d’organiser des sorties au musée et à la ferme.
Quant aux enfants, ce souvenir brûlant perdit peu à peu de sa violence. Cette première expérience d’une sexualité collective s’enfonça progressivement dans leur mémoire, jusqu’à se perdre dans leur inconscient.
Mais une petite fille n’oublia jamais… la plus sage, la plus timide, la plus petite pourtant…. Elle sentit qu’un feu s’allumait au creux de son ventre et s’embrasait doucement… un feu qui allait couver longtemps, avant de s’enflammer des années plus tard, à la fin de l’enfance.
L’histoire est vraie, mise à part la fin avec la maîtresse. En réalité, de mémoire floue, on est retournés à temps au bus, l’air de rien, nos bêtises sont passées inaperçues.
J’espère sincèrement n’avoir choquée personne …. Je suis la première à défendre la cause des enfants et à les protéger ! Les enfants doivent rester des enfants … Avec leurs jeux d’enfants et leurs pensées d’enfants … Mais jouer au docteur, et ses variantes, en font partie 😉
6 commentaires
Merci Laurent ! Grâce à toi j’ai aussi relu ce texte et ses commentaires…
Je les avais lu et écrit dans une autre vie où je vouvoyais encore Clarissa tellement j’étais impressionné par ses talents de narratrice et de…
Merci chers amis, je relis tous vos mots à l’occasion de la publication du commentaire de Laurent, et ils me font très plaisir ! Je me souviens avoir hésité avant de publier cette nouvelle, et je suis ravie qu’elle ait plu ! J’aime bien le monde de l’enfance ! Heureusement, le plus souvent, il n’y a que des princesses et des monstres
super récit souvenirs d’enfance et dans la tête de nos enfants on ne sait jamais ce qui se passe Bonne continuation
J’ai adoré très belle écriture
Voici une nouvelle qui aurait aussi pu s’intituler « jeux interdits ». Elle est écrite avec beaucoup de fraîcheur et n’est en rien choquante entre enfants « innocents » du même âge…
Pour le lecteur, c’est une bonne idée d’avoir attendu la fin du récit pour indiquer la tranche d’âge…
Merci à vous, chère Clarissa
sagesse
Bonjour,
votre gentil petit récit est plein de fraicheur. il m’a rappelé les jeux de mon enfance. je suis le grand père de 2jeunes garçons, vous etes je pense une jeune maman et rien dans ce que vous avez écrit ne fait l’apologie de la pédophilie Que comme moi vous combatriez si vous en etiez témoin.
Votre récit m’a permi de passer quelques minutes agréables à le lire puique je suis allité sur un lit d’hopital avec interdiction de me lever…le coeur. dans mon malheur je n’ai meme pas la chance d’avoir à mon chevet que des infirlieres!!!tout se perd.. les hommes se les hommes font des métiers de femmes!!(bien entendu je plaisante) 2
Excellente semaine
bernard
Protéger les enfants ne veut pas dire les emprisonner. Il est normal qu’ils partent à la découverte du monde et d’eux-mêmes.
D’aucuns seront peut-être déçus par cette nouvelle, sans doute qu’ils le trouveront un peu « fleur bleue ».
Pour ma part, outre le fait que je comprends votre désir d’évoquer le printemps – et de l’invoquer en l’évoquant – je trouve que vous avez fort bien su rendre ces émois de la découverte de l’autre. Maladroite, crainte, mais néanmoins secrètement désirée.