J’ai récupéré en douce ces figurines-jouets dans le carton « à donner », car cette demoiselle masquée avec sa robe-papillon et son prince charmant me plaisaient. J’ai juste échangé leurs attributs, l’épée pour elle, la harpe pour lui, à bas les stéréotypes de genre, et écrit un petit texte à leur intention !
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La harpe, toujours la harpe ! La princesse se lassait des sons mélancoliques qu’elle tirait laborieusement de son encombrant instrument. Elle préférait danser – d’ailleurs elle portait déjà sa robe de bal en ailes de papillon et son masque sur les yeux. Elle avisa un prince passant par là.
— Mon prince, voulez-vous m’aider à déplacer ma harpe ? Seule, je ne puis…
— Bien sûr votre altesse, je m’en occupe céans ! Cela n’est rien à côté du dragon que je dois terrasser tantôt !
— Que ferait le sexe faible sans de preux chevaliers comme vous ! minauda la princesse. Donnez-moi donc votre épée, vous serez plus à votre aise…
Hypnotisé par ses cils battant comme des ailes de papillon, le prince baissa la garde, et la lui tendit. Cette demoiselle allait s’envoler, par le seul pouvoir de ses cils et de sa robe !
— Attention à ne point vous blesser ma chère, la lame est effilée… mais, MAIS… qu’est-ce que vous faites, imprudente ! Reveneeez !
La princesse courrait éperdument, épée brandie, et tous s’écartaient sur son passage. Plus jamais on ne la cantonnerait au solfège et aux gammes ! Maintenue prisonnière du lourd instrument de musique qui la clouait sur place, priée de jouer toute la sainte journée afin de distraire le roi son père et plaire à d’éventuels prétendants dont elle n’avait que faire…
Le prince considéra la harpe d’un œil torve ; il s’était bien fait avoir ! Désœuvré, il fit glisser ses doigts le long des cordes, et tomba sous le charme de leur son cristallin, un ruissellement de sons composant une musique étrange.
Il ne savait où ranger la harpe, il ne pouvait l’abandonner là, on pourrait la dérober. Il se fit un devoir d’attendre la princesse.
Elle se fit attendre. Pour patienter, il s’entraîna avec acharnement, pinçant et martyrisant les cordes, ensorcelé à son tour par la musique envoûtante qui naissait comme par magie sous ses doigts.
La princesse se gardait bien de revenir ; à son tour d’occire des monstres à tour de bras, de chevaucher par monts et vallée, dans les tempêtes ou sous les rayons ardents du soleil, de rencontrer un dragon et croiser le fer avec l’ennemi ! Elle se sentait prête à en découdre, après tant d’années passées enchaînée à sa harpe, et fut fort déconfite d’apprendre que le royaume vivait en paix – l’épée n’était là que pour l’apparat et la parade. Certes, il y avait bien un dragon dans une caverne aux confins du royaume, mais on se gardait bien d’approcher son museau fumant, pourquoi chercher les ennuis n’est-ce pas ? En revanche, un bal était prévu, si jamais mademoiselle voulait bien confier son épée au maître d’armes, au risque de blesser son cavalier sinon. La princesse refusa obstinément, elle tourna les talons et préféra la cacher sous son matelas, on ne sait jamais.
Elle se souvint soudain de son prince et se mit à sa recherche, guidée par le son de sa harpe abhorrée. Les doigts du jeune homme galopaient sur les cordes, improvisaient, créaient des mélodies de son cru, mais fort plaisantes ma foi.
— Mon brave, installez donc la harpe dans ce coin, là. Et donnez-moi votre bras, un bal nous attend, et c’est tout de même plus agréable de se tenir l’un l’autre par la main que de tenir une harpe ou une épée, ne trouvez-vous point ?
Le prince en convint ; la petite main tiède de la princesse valait mille fois le froid métal de sa valeureuse épée et les cordes vibrantes. Il la pressa tendrement et la princesse se félicita de la tournure des événements. Fini les dures cordes blessant ses doigts sensibles ! Elle allait jouer d’un autre instrument à présent, doté d’une peau tiède, de poils soyeux, et d’un uniforme aux galons dorés cachant bien des secrets.
