Une photo aperçue sur les réseaux sociaux m’a donné une idée d’histoire…
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Ils travaillaient d’arrache-pied, équipés de pioches, de pelles, de leurs mains nues. Ils n’avaient pas l’habitude des travaux de construction – de démolition en l’occurrence -, mais l’enthousiasme leur donnait des ailes ! Dès les premières rumeurs, ils s’étaient retrouvés au pied du mur, en masse, attirés par ce moment historique, voulant en être.
Elle apportait sa pierre à l’édifice de son mieux, maniant fébrilement sa pioche, encouragée par les coups de pioche qu’elle entendait de l’autre côté du mur. Quelqu’un l’aidait, pile en face d’elle…
Bientôt, un éboulis, des éclats du mur projetés partout… Elle distingua à travers la poussière une ouverture et son cœur bondit de joie ! Une fenêtre vers Berlin est… Elle surprit un jeune soldat, tout aussi réjoui qu’elle, l’air timide, effrayé peut-être. Elle lui fit un grand sourire pour le rassurer ; la guerre froide était terminée ! Il lui rendit timidement son sourire, soulagé. Avec son uniforme, il ne savait pas trop comment il allait être reçu, aussi avait-il prévu une rose pour remplacer son arme. Il avait pris soin d’enlever les épines ; il ne fallait pas que son geste soit mal interprété.
Il la lui tendit aussitôt.
Elle le remercia et lui fit un clin d’œil ; leur ouvrage n’était pas terminé, il lui conterait fleurette plus tard ! Elle lui montra sa pioche et il comprit le message. Le reste du monde s’effaça, il ne restait que cette portion du mur à abattre de toute urgence, pour les réunir enfin. Quand il franchit les décombres, elle ouvrit grand les bras, émue aux larmes par ce miracle : ennemis jurés grâce aux efforts de leurs gouvernements pendant près de 30 ans, réconciliés pour toujours en un instant ! Plus jamais le moindre mur ne s’élèverait entre eux !
— Comment puis-je vous remercier ? demanda le soldat, le visage empourpré, déjà amoureux, emporté dans le vent de l’histoire.
Elle marqua un temps, amusée. Il y avait quelque chose de suranné dans sa façon de parler, un accent infime… 30 années de séparations avaient influencé différemment leurs attitudes, leurs mots, leur culture…ils devaient réapprendre à se connaître !
Elle faillit lui répondre qu’une rose la comblait déjà avant de changer d’avis.
— Ta casquette… tu n’en as plus besoin il me semble ! Et elle est beaucoup trop grande pour toi…
Il la lui donna sans hésiter, ravi de lui faire plaisir et de plus jamais patrouiller devant ce mur qui s’effondrait de toutes parts. Il venait de perdre son métier, mais il gagnait ce qu’il y avait de plus précieux au monde, la liberté, l’amitié… l’amour peut-être ? Autour d’eux, les coups de pioche et les coups de marteau allaient toujours bon train, mais ils n’entendaient rien, seuls au monde au milieu de la foule.
Elle prit la casquette et la vissa crânement sur sa tête. Elle se sentie aussitôt investie d’un pouvoir inconnu et considéra son nouvel ami avec amusement. Lui en revanche avait perdu toute sa superbe ; il faisait si jeune ! Il la contemplait bouche-bée, subjugué. Sa casquette faisait merveille avec son long manteau à la mode occidentale… Il lui fit un petit salut militaire.
— Madame, je suis à vos ordres !
Photo : Tom Stodddart