Bon, cette fois c’est officiel, j’ai un soumis – on ne fréquente pas les soirées bdsm impunément, on finit par faire de mauvaises rencontres 😉 – j’en parle librement ici, je me suis déjà vantée à droite à gauche, ce n’est plus un secret pour personne…
A priori, ce n’est que du plaisir, mon soumis se montre aux petits soins, me sert des cafés ou des coupes de champagne selon les heures du jour ou de la nuit, masse mes pieds, mes mains, mes épaules, aussi longtemps que je le souhaite, quand j’en ai envie, inlassable, soucieux de ma satisfaction… Je peux le convoquer quand je veux, même si c’est juste pour me regarder travailler, quand moi je ne lui accorde pas un regard… Sa présence me canalise, je ne me disperse plus, j’avance enfin, je dois seulement résister à mes envies de massage.
C’est surtout mon cavalier de soirées, danseur infatigable, attentionné, prêt à se battre des heures au bar pour me rapporter une boisson, portant de plus en plus d’accessoires au fil de l’avancement de la soirée et de mon envie de m’alléger : barrettes, bijoux, cravache…
Il faudrait quand même que je corse un peu les épreuves de mon chevalier servant, il va finir par se trouver une dominatrice plus exigeante, plus cruelle !
Mais voilà, j’ai un souci, je ressens de l’empathie pour lui, je me soucie de lui, est-il vraiment heureux, là, dans un coin de la pièce, attendant que je lève les yeux vers lui ? Et les rôles ne risquent-ils pas de s’inverser si je me préoccupe de ses ressentis au lieu de seulement profiter de ce qu’il m’offre ?
Donc, une petite histoire, presque une parabole, à titre d’exorcisme, une variation autour du même thème, la « domination romantique » – On dirait un oxymore, j’ai d’ailleurs toujours bien aimé les oxymores, ils m’évoquent l’attirance entre deux contraires, la matière et l’anti-matière, et l’explosion qui en résulte.
***
De fil en aiguille
Trouver des soirées déguisées une fois adulte s’avérait compliqué. Il y avait bien Halloween, mais c’était seulement une fois par an, tout comme les réveillons avec les copains, où d’ailleurs à peine quelques uns faisaient l’effort de respecter le thème… Claire était déçue, elle avait gardé le goût du déguisement, du travestissement, il ne s’était jamais démenti depuis son enfance. Ça lui manquait, au point qu’elle se costumait parfois toute seule, se prenait en photo, recherchant sans succès ses joies d’enfant. Se déguiser, c’est avant tout un plaisir collectif.
Au hasard de ses recherches de soirées costumées sur le net, elle découvrit un univers qui lui était complètement étranger, et dans lequel elle se plongea bientôt jusqu’au cou : les soirées Fetish et bdsm… De soirées en soirées, elle rencontra plein de gens, se fit des amis aussi. Ils étaient toujours heureux de se retrouver, de parader, et de danser jusqu’aux petites lueurs de l’aube.
Seule ombre au tableau, Claire ressentait un léger sentiment d’imposture. Ni dominatrice ni soumise, elle profitait de ces soirées, sans vraiment partager le goût de ses amis pour les jeux SM, seulement séduite par les mises en scène, l’esthétisme gothique et onirique. Elle revenait pourtant, dès que l’occasion se présentait, fascinée par ce monde parallèle. Vétue de vinyl ou de cuir des pieds à la tête, elle se réjouissait d’admirer les tenues provocantes et extravagantes des participants.
Pour éviter de se faire embarquer par un maître un peu trop sûr de lui, se retrouver en croix et fouettée avant d’avoir le temps de dire ouf, elle dansait armée d’une cravache, et acceptait volontiers les massages de pieds des fétichistes. Là s’arrêtaient ses désirs de domination. Elle n’avait pas le temps, ni l’envie d’avoir un soumis, elle voulait seulement s’amuser en soirée, et ne cherchait rien. Mais c’est connu, c’est quand on ne cherche rien que l’on trouve.
Elle ne sait pas pourquoi elle s’empara de la laisse d’un de ces soumis un soir, par curiosité, désœuvrement, sans y penser vraiment. Ça l’amusait de jouer un peu, un accessoire en plus à son déguisement. Elle ne se douta pas un instant que ce geste anodin, prendre une laisse par jeu, se révélerait aussi engageant. Et pourquoi lui, pourquoi ce soumis-là, ils étaient si nombreux à lui tendre leur laisse ! Elle avait toujours refusé, fuyant les responsabilités, l’obligation de devoir « s’occuper d’eux », les fesser, les attacher… Bon, celui-là était bien plus mignon que les autres, et il avait un regard plein d’attente et d’espoir. Il ne demandait rien de particulier, il voulait juste rester avec elle. Bientôt elle fut prise dans ses filets, petit à petit, sans y prendre garde.
Dès le lendemain, il la recontacta, manifesta son envie de la revoir en lui envoyant des messages sensibles et délicats, irrésistibles, il l’appelait déjà sa déesse, sa reine. Ils prirent rendez-vous le week-end suivant, se revirent quelques semaines plus tard, et puis de plus en plus souvent. A présent, il fallait qu’elle le voie plusieurs fois par semaine, sinon elle avait du mal à respirer. Elle ne voulait voir que lui, elle reportait tous ses rendez-vous et contraintes, ne répondait plus à ses amis. Ils se retrouvaient en tête à tête le plus souvent, et quand ils se rendaient à une soirée fetish, ils restaient soudés l’un à l’autre toute la nuit. Le décor, les autres n’existaient pas, ils voulaient juste retrouver l’ambiance de leur première rencontre.
Elle se sentait chaudement entourée par un cocon douillet, un pull angora à même la peau, constamment couverte d’attentions. Elle n’avait pas encore conscience des premières fêlures, de cette addiction qui menaçait de tout envahir. Il y avait tant de signes pourtant. Elle regardait de plus en plus son téléphone, guettait ses messages, l’interrogeait constamment sur ses activités pour le suivre de près, le plus près possible, le convoquait de plus en plus souvent pour qu’il vienne se mettre à son service… Il restait d’humeur égale, toujours aussi adorable, ne cherchant qu’à la satisfaire et lui plaire de son mieux.
Les exigences de Claire allaient crescendo, sans jamais ralentir. Elle le voulait tellement ! Plus il se donnait, plus elle en demandait. Lui semblait heureux cependant, à sa place. Son empressement à lui obéir exaspérait son envie de le mettre à l’épreuve, encore et encore, quitte à aller trop loin. Elle voulut le suivre dans ses déplacements, lui imposa un traceur dans son téléphone, elle voulut rencontrer tous ses amis, visiter tous ses lieux de vie, lire ses messages, tout connaître de son passé, qu’il n’ait plus le moindre secret pour elle… Sa soif de fusionner n’avait pas de limite, elle exagérait, elle le sentait, mais il ne se rebellait jamais, l’encourageait, et Claire n’avait plus aucune retenue.
Mais un matin, son premier message se fit attendre. Claire fut contrariée, avant de commencer à s’angoisser, il ne répondait pas à ses relances, ça ne lui ressemblait pas. Eperdue, elle réfléchissait déjà aux punitions, il allait souffrir pour le mal qu’il lui causait à rester ainsi silencieux. Elle irait l’attendre à la sortie de son travail et le giflerait direct, devant ses collègues, ses chefs, avant même d’écouter ses excuses piteuses.
Son téléphone vibra, enfin un message ! « J’ai eu un souci au travail, je suis à l’hôpital ». Claire s’affola complètement, elle ne maîtrisait plus rien. Elle en oubliait de garder la saine distance hautaine d’une domina digne de son nom, elle n’était plus qu’une femme inquiète pour ce jeune homme qui avait pris une telle place dans sa vie. Elle lui demanda l’adresse de l’hôpital, et comme il lui obéissait toujours, il obtempéra sans hésiter.
Une demi-heure de taxi plus tard, elle était à son chevet, désolée de contempler sa main bandée. Il lui disait si souvent qu’il était à elle ! Ses mains aussi dans ce cas ! Surtout ses mains, dont elle appréciait tant les caresses… Elle le gronda copieusement, elle s’était inquiétée, et le somma de passer toute sa convalescence chez elle. Elle ne voulait plus être séparée de lui, ne serait-ce qu’une minute. Elle allait l’installer dans un coin de sa chambre, enchaîné au pied de son lit. Il avait quinze jours d’arrêt, ça laissait le temps de s’organiser. Il n’aurait qu’à démissionner ensuite, elle pourvoirait à ses besoins.
Claire balaya toutes les objections qui surgissaient dans ses pensées, rien ne saurait s’opposer à son envie, une envie si forte, impérieuse, comme elle n’en avait jamais ressentie auparavant. Elle n’avait d’autre choix que d’y céder, dut-elle maudire les soirées bdsm jusqu’à la fin de ses jours.
Quinze jours enfermés tous les deux… elle qui avait toujours haï ne serait-ce que l’idée d’emprisonnement ! A présent, elle y aspirait de toutes ses forces. Ils étaient liés, un attachement aussi fort, solide, que les cordes qu’elle allait enrouler autour de son corps, histoire qu’il ne lui échappe pas à la fin de son congé.
Elle sentait bien qu’elle devenait folle. Elle basculait peu à peu dans la démence, ses dernières lueurs de lucidité allaient disparaître, et tout deviendrait possible. Elle allait l’entraîner avec elle, ils sombreraient tous les deux et se noieraient au fond de la rivière.
Photo : Clarissa (Ok, photomontage, car il faut quand même pas exagérer 😉 )
2 commentaires
Merci Franck !
Une très jolie nouvelle, posant en filigrane la juste reflexion sur les rapports dominant/dominé, de qui mène le jeu et qui dépend de qui … Un vaste jeu où les codes sont stricts et flous à la fois et les variations infinies. Très joli texte. Merci