Breath play

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    Je poursuis ma série sur les fétichismes et les pratiques bdsm avec une pratique qui me fascine, le Breath play (contraindre la respiration, à l’aide de cagoules, des mains…)

    Un texte inspiré par une belle séance à laquelle j’ai pu assister en étant toute proche, lors de l’exposition de photos de Roxy Sansya… J’étais impressionnée par l’assurance tranquille de la dominatrice si virevoltante un instant auparavant, et figée soudain, la main plaquée sur la bouche de son soumis, scrutant ses réactions, et par le calme et l’abandon du soumis, totalement en confiance.
    — Il s’agit d’une pratique à risques, cela va sans dire, réservée aux personnes expérimentées et conscientes des risques.

***

    On ne voit presque rien, tout est immobile, calme, silencieux. La séance se déroule en toute discrétion. Un soumis est assis sur un tabouret de bar, une dominatrice se tient debout tout près de lui, presque collée à lui. Ils sont connectés l’un à l’autre, seuls au monde, ignorant l’assistance qui les observe et retient son souffle. Il faut s’approcher pour comprendre ; ils jouent avec ce que l’on a de plus précieux au monde, de vital : l’air, qui nous permet de vivre, rien que ça.

    Le soumis est vêtu d’une combinaison intégrale en latex, déjà sa peau ne respire plus. Silhouette anonyme, déshumanisée, jouet de plastique à la merci de la dominatrice, avec lequel elle va s’amuser sans tenir compte de sa personnalité, de son intelligence, se concentrant uniquement sur sa bouche, et l’oxygène qu’elle lui octroie avec parcimonie. Ils sont dans un autre rapport, incompréhensible pour les personnes étrangères à l’univers du BDSM. Il est à la fois une poupée inerte, offerte, et un super héros capable de supporter l’impensable. Seule sa bouche apparaît, il est réduit à cela, une bouche en quête d’air, et aussi en quête de la main de latex qui viendra compléter sa tenue. Dès que la main se retire, elle lui manque, et dès qu’elle se replace sur sa bouche, il étouffe. Cercle vicieux de sensations dont il ne peut se passer.

    La dominatrice sait ce qu’elle fait, elle connaît bien son soumis. Elle est à l’écoute du moindre frémissement, de ses réactions, des infimes soubresauts et frissons qui parcourent sa peau. Elle plaque ses mains de latex sur sa bouche et sur son nez, bloquant les arrivées d’air. Elle tient sa vie entre ses mains, elle les déplacent un instant, lui offre un filet d’air qu’il aspire avec reconnaissance, avant de l’asphyxier à nouveau.
    Ils ont convenu de signes, puisqu’il ne peut plus parler. Il a les mains libres, et d’une main il peut attraper le poignet de sa Maîtresse, pour lui dire qu’il a besoin de respirer. De l’autre, il tient un objet qu’il lâchera automatiquement s’il frôle l’évanouissement. Ce n’est pas le but, ce serait un échec pour la dominatrice, et pour lui aussi, qui n’a pas su prêter attention aux signes avant-coureur.
    Ce qu’ils recherchent, c’est le plaisir que l’on atteint aux limites de l’inconscience, cet ultime sursaut de bonheur secrété par le cerveau pour compenser l’épouvante de la suffocation. Une sensation de paradis, un avant-goût de l’au-delà, avant de revenir à la vie, une vie qu’il faut bien vivre, et qui vaut la peine d’être vécue pour ces moments d’exception. Et puis il y a aussi le plaisir de la première goulée d’air, l’inspiration salvatrice, l’oxygène qui s’engouffre dans ses poumons, envahit son sang et son cerveau. Ce sentiment d’euphorie plus fort qu’un orgasme, lié à la vie qui circule à nouveau. Une bouffée de bonheur pur, un shoot vertigineux, avant d’être ramené à la vie.
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    Le soumis s’abandonne en confiance, il lâche prise entre ces mains bien-aimées qui le torturent et le sauvent en même temps. Il s’en remet à sa Maîtresse, lui offre son souffle, les battements de son cœur, son sang qui pulse dans ses veines. Il voyage, s’aventure aux frontières de l’inconscience, vite ramené sur terre par sa dominatrice qui veille sur lui. Ils sont sur le fil du rasoir, entre la vie et l’évanouissement, et toute la maîtrise du jeu réside là : éviter la perte de conscience, qui marque la fin du jeu, et peut se révéler dangereuse. Le but n’est pas de provoquer des séquelles neurologiques, mais de lui faire connaître l’extase de l’étouffement, les hallucinations, cette jouissance particulière liée au manque d’air, suivi de son apport, sans lui faire courir le moindre risque. Une vigilance de tous les instants pour la dominatrice, enivrée de sentir cette vie palpiter entre ses mains.
    Il va loin pour elle, très loin, par amour d’elle, abnégation, par masochisme aussi. Il voudrait aller plus loin encore, mais elle ne le laisse pas faire, c’est elle qui mène le jeu ; pour qui il se prend ! Elle ôte sa main de latex collée à sa bouche, le soumis avale un grand bol d’air, un réflexe après l’apnée imposée. L’oxygène électrise son corps, pétille dans son cerveau, et éclate en autant de petites bulles de bonheur. Dans son enthousiasme, il voudrait soulever sa Maîtresse de terre et lui planter deux baisers sonores sur les joues pour la remercier de lui faire vivre de telles expériences ! Mais ce serait lui manquer de respect, elle n’apprécierait pas. Alors il se laisse tomber à ses pieds et baise sa main, le souffle court, essoufflé encore.

    La dominatrice attend que sa respiration s’apaise et le relève. C’est elle qui l’embrasse sans façon avant de le serrer dans ses bras.
   — C’est bien, je te félicite !
   — Merci Maîtresse, j’aurais pu aller plus loin encore…
   — Je sais, mais j’ai d’autres projets pour toi, c’est moi la dominatrice, ne va pas inverser les rôles en m’imposant tes fantasmes ! La prochaine fois, tu ne respireras pas dans l’eau, ce sont d’autres sensations encore. Une noyade suave, en douceur, intermittente… Le truc c’est de ne pas lutter, de t’abandonner en confiance au pouvoir de l’eau, entre mes mains qui te sauveront toujours, et puis je te ferai peut-être le bouche à bouche après t’avoir noyé, qui sait ! J’ai d’autres idées aussi. Là j’ai joué avec ton souffle de mes seules mains, la prochaine fois ce sera avec mes lèvres, avec mon sexe aussi, je m’assiérai sur toi et pèserai de tout mon poids. Je te priverai de ton souffle vital de toutes les manières, avant de t’insuffler la vie…
    Eperdu de reconnaissance, excité à la perspective des tourments à venir, le soumis hoche la tête. Il a hâte de respirer dans sa bouche, dans ses parfumes intimes, de retenir son souffle dans l’attente de son bon vouloir ; il a hâte qu’elle le prive d’air à nouveau, un acte plus intime encore qu’un baiser, que baiser, que n’importe quelle pratique BDSM. Une pratique à la fois douce, et si dangereuse, un voyage merveilleux, digne des drogues les plus dures… Là réside le danger : quand on a connu ces sensations on ne peut plus s’en passer, et on veut augmenter les doses, aller plus loin, prendre des risques.
   La dominatrice retient ses élans, le cadre, lui impose sa volonté, à laquelle il se plie avec bonheur, car se soumettre est aussi délicieusement excitant.

    Ils vont toujours plus loin néanmoins, il n’est pas seul dans cette quête insensée, elle aussi est tentée d’expérimenter, de l’emmener plus loin, aux frontières de la vie. Dans un lieu qui n’appartienne qu’à eux, peuplé de visions fantastiques et de jouissance, où ils fusionnent enfin avec leurs corps éthérés. Mais elle garde la tête froide, toujours. Elle sait quand interrompre l’expérience, l’arracher des portes du paradis, le ramener à elle, de force s’il le faut. Il lui en veut par moments, il tente même parfois de retenir sa respiration par lui-même, au risque de se prendre une gifle. Il était si bien, il voulait tenir encore, pour elle… Mais ce n’est pas lui qui mène le jeu, c’est sa Maîtresse bien aimée, cruelle et bienveillante.
    Elle lui glisse un morceau de chocolat entre les lèvres, un peu de sucre afin qu’il se remette tout à fait, et l’entoure de ses bras pour le bercer. Il se love contre elle, baise la main qui le torture et le nourrit.
    La séance est terminée.
    La dominatrice a déjà envie de recommencer, tout en caressant le pelage de latex de son soumis. On s’attache à ce qu’on malmène, à ce qu’on soigne, à ce qu’on sauve ; la tentation est forte de recommencer encore et encore, pour le plaisir de torturer et puis de sauver à nouveau.

   – Photos : Roxy Sansa et Quentin Berle, lors de l’exposition Roxy à la galerie Chardon en juillet 2021

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2 commentaires

  1. Clarissa a écrit :

    Oh c’est vrai ? Je te les envoie en HD par mail ! Merci pour ton retour !

  2. Quentin Berle a écrit :

    Oh mais je ne savais pas que tu avais ces photos … En tout cas j’adore ton texte 🥰😍

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