J’aime beaucoup regarder des photos Urbex (explorations de lieux abandonnés) sur les réseaux sociaux. Je suis souvent fascinée, émue, par ces maisons ou ces châteaux délaissés, figés dans le temps, parfois avec une partie de leur mobilier de l’époque, des objets du quotidien… Ils s’abîment peu à peu, se décomposent sous l’effet du temps, de la nature environnante. Ces lieux dégagent une incroyable mélancolie, ils semblent encore habités, avec leurs photos d’autrefois dans des cadres, les blouses fleuries dans les placards, la vaisselle éparpillée un peu partout, la télé ou la chaîne Hi-fi qui nous permet de dater l’abandon…
Je ne peux m’empêcher de me demander ce qui s’est passé, pourquoi les a-t-on quittés aussi brusquement, en laissant tout ? Parfois, les urbexeurs livrent des bribes de réponses, mais le plus souvent, le mystère reste entier.
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A sa mort, si jeune, son âme pure la destinait à devenir un ange. De son vivant déjà, tout le monde le lui disait : tu es un ange ! Mais le moment venu, elle ne put quitter le manoir de son enfance, attachée à ce lieu par mille souvenirs, mille liens tendres, aussi solides que des chaînes. Elle lui resta attachée, et le hanta avec mélancolie, seule. Ses pensées et ses ailes s’assombrirent ; elle avait trop tardé, elle ne pouvait plus monter au ciel.
Le manoir fut bientôt laissé à l’abandon, il fut peu à peu envahi par des plantes grimpantes, des ronces, tel le château de la Belle au bois dormant ; on l’oublia. Sa façade devint invisible, camouflée par la végétation, elle s’infiltrait sous les portes, par les fenêtres, partait à l’assaut des couloirs… Un jour, le manoir finirait par se fondre avec la nature, il ne ferait plus qu’un avec son jardin tant aimé. Elle s’en inquiétait, que deviendrait-elle une fois qu’il aurait disparu ? Allait-elle se dissoudre elle aussi ? Elle voletait à travers les pièces, impuissante, affligée par la décomposition des salons d’apparat, des tableaux de maîtres… Tout se dégradait peu à peu, inexorablement.
Elle ne pouvait s’aventurer dans le parc, devenu une jungle sauvage, mais elle contemplait souvent le défilé des saisons à travers les fenêtres. Jamais personne ne passait, elle aurait tant aimé pourtant voir des enfants s’amuser, courir, des jardiniers entretenir les parterres de fleurs, des voitures tirées par des chevaux s’avancer sur le chemin de terre…
Soudain, elle sursauta, elle n’en croyait pas ses yeux : un petit groupe s’avançait, se frayant un chemin à travers les broussailles. Trois hommes, nullement découragés par les orties et les ronces qui se liguaient pour lacérer leurs chevilles et les détourner du manoir. Ils étaient tous vêtus entièrement de noir. Des anges déchus, comme elle ? Ils n’avaient même plus leurs ailes… Armés d’un pied de biche, ils ouvrirent sans effort la porte d’entrée vermoulue et s’écrièrent tous à la fois.
— Quelle merveille ce manoir !
— De toutes mes explorations Urbex, je n’ai jamais rien vu d’aussi beau !
— On visite ?
Elle se terra sous une tapisserie en lambeaux, assaillie par les ondes dégagées par ces intrus. Ils ne semblaient pas animés de mauvaises intentions, au contraire. L’un d’eux lui sembla particulièrement réceptif, elle fondit sur lui et se mit à gémir doucement à son oreille.
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Photo : Urbex the world
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