Une bluette inventée, pour changer de mon journal intime 😉
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Léa, le confinement, ça lui était égal. Elle vivait déjà sur son lit depuis la rentrée, entre son ordinateur dédié aux séries, son téléphone pour les réseaux sociaux, au milieu de ses livres et cahiers éparpillés. Elle n’apparaissait que pour se préparer des plateaux repas, des boissons chaudes, avant de remonter aussitôt dans sa chambre.
Limite elle se réjouissait de ces espèces de vacances imprévues ! ça ressemblait à une aventure… à vivre sur son lit, nickel… Elle ne verrait plus les garçons du lycée, bon débarras, ils avaient tous deux ans d’âge mental, et ça lui ferait du bien de se décoller de Solène et Zoé. De toute façon, elles chattaient non-stop sur Instagram toutes les trois, c’était comme si elles étaient là, allongées près d’elle sur le lit. Elles allaient finir par la soûler, à force.
Au bout de quelques jours, le vague à l’âme s’installa, tout lui pesait. Rester à la maison au chaud sous la couette au milieu de ses peluches, c’était sympa si à tout moment on restait libre de rejoindre les copines pour acheter du vernis, prendre un coca, glousser pour rien… Elle délaissa le chatt avec une excuse piteuse : « je dois m’occuper de ma petite sœur ». C’était faux, cette petite peste s’occupait très bien toute seule dans le monde qu’elle s’inventait, peuplé de Playmobils, de Légo friends et de ses rêves. Elle ne s’ennuyait pas une seconde et ne verrait rien du confinement. Les parents restaient vissés devant BFM TV, Netflix, leurs ordinateurs, ou occupés par la préparation des repas ; ils n’avaient pas l’air de s’en faire non plus. De toute façon, être en prison à la maison ou au bureau, ça ne devait pas les changer tellement ! C’était elle, l’ado, qui souffrait le plus, elle seule prenait conscience de l’enfermement, de la réduction des libertés… Les autres ne comprenaient pas.
Quelqu’un revenait souvent dans ses pensées, Robin. C’était drôle, ils s’étaient rencontrés le samedi soir précédent l’annonce du confinement, quand les fêtes de moins de cent personnes étaient encore autorisées. Ils en étaient loin ce soir-là, une dizaine à tout casser, en train de fêter l’anniversaire de Julie, une copine de son ancienne école ; la dernière fête avant longtemps. Léa parcourut les photos de son téléphone. Bizarrement, Robin était présent sur la plupart, alors qu’ils faisaient tout juste connaissance. Ils avaient discuté à perdre haleine de leurs lectures, de leurs séries préférées, de leurs projets et de leurs rêves…
Léa se perdit dans ses souvenirs. Il la regardait, elle aimait de plus en plus ses yeux verts, son sourire joyeux. Une douce chaleur se répandait dans son corps. Il était si différent des garçons de sa classe ! Gentil, pas moqueur… La jeune fille ne savait pas encore que la plupart des garçons devenaient charmants dès qu’ils s’extrayaient de leur groupe de potes. Elle-même d’ailleurs se montrait insupportable et inabordable entourée par ses copines formant un infranchissable rempart, ricanant tout le temps. Là, ils ne connaissaient personne ni l’un ni l’autre, à part Julie, et s’étaient rapprochés, naturellement, délivrés du regard de leur bande.
Ils avaient échangé leurs coordonnées, et depuis, ils bavardaient timidement, se découvrant peu à peu. Léa commençait à souffrir du manque, elle voulait le revoir. Ce confinement tombait mal !
Ils réalisèrent qu’ils étaient voisins, ils habitaient à dix minutes à pied l’un de l’autre. Mais autant habiter sur deux continents différents en ce moment ! Car à moins de se donner rendez-vous au rayon pâtes, sous prétexte de faire des courses…
Soudain, la solution lui apparut, lumineuse ! Une bouffée de joie et d’espoir envahit son cœur. La résistance allait s’organiser, hors de question de se laisser abattre ! Elle allait se porter volontaire pour faire les courses, et il allait l’accompagner, voilà, c’était aussi simple que ça !
Il l’attendait en face de son immeuble et Léa sentit une décharge électrique lui déchirer le cœur. Frémissante des pieds à la tête, elle se campa devant lui, muette, tandis qu’il la dévorait des yeux. Elle se reprit la première, ils pouvaient être contrôlés s’ils restaient trop longtemps sans bouger.
— C’est sympa de venir avec moi ! Tu as bien pris ton autorisation ?
— Oui ! Je suis content de te voir…
— Alors, Monoprix ou Auchan ?
Ils éclatèrent de rire, c’était drôle. Ils se ressaisirent, ça pouvait être suspect de rire, par les temps qui courent.
— Monoprix ! C’est plus loin…
Ils se mirent en route, respectant sagement la distance imposée d’un mètre entre eux. Ils se frôlaient par moments sans le vouloir, et Léa était traversée à chaque fois de courants électriques. Silencieux au début, ils bavardaient à présent à perdre haleine : les menus incidents de la vie en confinement, les tiraillements, les devoirs à rendre…
Léa parlait de façon automatique. En réalité, le désir la brûlait vive, c’était un vrai supplice de Tantale de contempler Robin sans pouvoir le toucher, prendre sa main. L’embrasser. Elle mourrait d’envie de l’embrasser, juste un baiser sur ses lèvres… cela devenait difficile de résister. Lui ne la quittait pas des yeux tout en avançant, au risque de se prendre un poteau, et elle pouvait lire dans son regard la même envie de l’embrasser.
Ils n’étaient encore que des enfants. Ils s’engouffrèrent dans une cabine d’essayage du Monoprix et s’embrassèrent follement, comme si c’était la dernière fois. Personne ne les dérangea, car personne ne songeait à essayer des vêtements. Tout le monde se concentrait sur les pâtes et le riz.
Un vendeur devina leur manège, il n’eut pas eu le cœur de les interrompre. Il les laissa profiter, attendri. Demain il enlèverait les rideaux des cabines.
Léa courrut tout le long du chemin. Combien de temps étaient-ils restés dans cette cabine, à s’embrasser sans fin ? Sa mère allait s’inquiéter ! Et la tuer ! Car elle avait complètement oublié de faire les courses, du coup… Comme c’était bon ! Elle se sentait si heureuse, elle avait l’impression que son coeur allait éclater de bonheur !
Contre toute attente, sa mère l’accueillit avec le sourire.
Sa fille avait les joues roses et ses yeux brillaient de joie. Cela faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas vue aussi contente ! Il y avait sûrement un garçon la-dessous… Elle ne posa aucune question, la vie était déjà assez compliquée comme ça ! Elle lui rappellerait les règles de distanciation sociale demain ; cela lui déplaisait de gâcher sa joie maintenant avec un sermon. De toute façon, les règles venaient de se durcir, on ne pouvait plus se promener à plusieurs, ni même à deux. Elle lui sourit, s’empara de la liste de courses, et sortit ; ça lui ferait du bien de prendre l’air aussi, même si aucun garçon ne l’attendait au coin de la rue.
Photos : Twillight, Homeland