Flânerie démoniaque

 

   Afin de me préparer à la future Nuit Dèmonia du 14 avril prochain, je suis passée à la boutique du même nom, et mon tour d’horizon m’a inspiré une histoire.
Le personnage principal : la boutique – les autres personnages ne sont que des faire-valoir 
😉

(Ce récit et sa suite publiée sur ce blog sont repris dans mon roman Immersion)

 

***

    Alex lève les yeux de son écran, son chef vient d’entrer en coup de vent. Il semble lui réserver un mauvais coup avec son regard espiègle.
– Salut Alex ! Il y a encore une journaliste d’un magazine féminin quelconque qui souhaite nous interviewer, ça n’arrête plus depuis 50 nuances de Grey… La bourgeoise découvre le bdsm ! Tu veux bien la recevoir ?
– Mais c’est toi boss qui t’occupe de la com ! Moi je suis le community manager, le web designer, le geek… je cause moins quoi….
– Tu vas assurer, j’en suis sûr ! J’ai un autre truc à faire, bonne chance, elle ne va plus tarder en fait…
– Hé, tu aurais pu m’en parler avant, attends !

Ça ne sert à rien de s’égosiller, Pierre a déjà filé.
Alex grimace, légèrement contrarié, ce rendez-vous tombe mal, il a plein de travail, et faire des courbettes à la presse, c’est pas trop son style. Il n’a pas le temps de râler plus longtemps, une femme se présente déjà dans son bureau. Une cliente égarée peut être… Elles viennent parfois, malgré le panneau « privé » posé sur la porte, espérant dieu sait quoi.
– Madame, vous cherchez quelque chose, je peux vous aider ?
– Oui, merci, j’ai rendez-vous, je suis journaliste
– Entrez, asseyez-vous, je vais répondre à vos questions.

Alice balaye la pièce du regard, un open space encombré d’ordinateurs, de dossiers, comme dans tous les bureaux du monde, à une nuance près : ça et là, des masques de démons, des objets variés pour pimenter sa vie sexuelle, sont déposés sur les bureaux, en attente de référencement peut-être. Il est impossible de les ignorer, ils s’exposent, indécents, attirent son regard, la distraient, l’embarrassent un peu aussi ; il est si tôt encore. La curiosité l’emporte. Ce plug, là, il semble immense quand même, est-ce que vraiment certaines réussissent à se l’insérer… et ces chaussures, comment marcher avec des talons aussi vertigineux !
Alice s’assoit, sort son calepin pour se donner une contenance, et attaque sa première question.
– Merci ! Pouvez-vous me présenter votre boutique ?

La journaliste s’efforce de se concentrer, de rassembler ses pensées. Elle fait ce métier depuis des années, elle a interviewé des centaines de personnes, sur tous types de sujets, pourquoi est-ce différent cette fois ci, qu’est-ce qu’il lui arrive… Certes, il ne s’agit pas de produits high-tech ou de maquillage, mais de sextoys, de menottes, d’accessoires dédiés aux plaisirs… Une excitation d’adolescente a remplacé son flegme légendaire, ses pensées bouillonnent, des frémissements parcourent sa peau, des pieds à la tête ; elle se tortille sur sa chaise, chatouillée, agacée par ces fourmillements électriques.

Elle a de plus en plus de mal à se concentrer sur les explications d’Alex, chacun de ses mots fait naître des fantasmes, l’enflamme. Elle commence même à ressentir une tension au creux de ses jambes, elle les croise, les décroise, de plus en plus nerveusement. Comment fait-il pour parler aussi tranquillement de sujets aussi torrides, sans le moindre embarras, quand elle se sent rougir jusqu’aux oreilles. Il la regarde dans les yeux sans sourire, il semble lire dans ses pensées, son regard devient taquin. Alice baisse les yeux, fait semblant de prendre des notes, plus éperdue que jamais. Car en plus de mener une interview sur les sujets les plus sulfureux qui soient, il a fallu que ce soit avec une sorte de viking au regard perçant, barbu, musclé et tatoué !

Elle doit absolument se reprendre, elle avale une gorgée de café et grimace. Il est froid, mais il lui donne le petit coup de fouet nécessaire pour prêter à nouveau une oreille attentive. Alex est en train de lui décrire l’utilisation du Whomanizer, le fameux sextoy plébiscité par les femmes. Alice le connaît, on en a parlé dans le magazine à l’époque. Mais c’est une chose de lire l’article d’une collègue, c’en est une autre d’écouter un homme décrire son fonctionnement, son effet sur les femmes… Les pensées d’Alice sont en ébullition par le seul pouvoir de sa voix, du sujet évoqué. Elle se maudit de s’emballer autant, quand lui reste professionnel, factuel, tout en continuant de parler de la jouissance des femmes en expert. Il connaît parfaitement le corps des femmes, le mécanisme de leur désir, la magie de l’orgasme ; c’est sûrement un fabuleux amant, il maîtrise si bien les secrets du plaisir, le mystère de la féminité…

2018-02-22 18

Alice enlève son gilet, s’évente avec son carnet. Il fait un peu trop chaud dans cette pièce.
– Tenez, un petit cadeau !
Alex lui tend un éventail estampillé Dèmonia.
– On les offre en soirées, il fait souvent très chaud ! Et ils sont utiles ici aussi, bon, surtout l’été normalement…
Aucune trace d’ironie dans sa voix, Alice reprend un peu d’assurance en maniant l’éventail, l’air lui fait du bien. Elle sourit intérieurement, un éventail, l’accessoire romantique par excellence ! Plus maintenant…
– Merci ! Je me suis trop couverte ce matin… J’ai bien compris ce qu’est, hum, un stimulateur clitoridien, j’aimerais que l’on parle de vos autres produits phares.

Vite, changer de sujet, ne plus parler d’orgasme, de désir, le sien devient palpable. Alex ne fait aucune remarque, il se lance dans la description de l’offre de la boutique. Si Alice espérait respirer, elle se trompait lourdement. L’atmosphère se réchauffe encore avec les explications des milles supplices que l’on peut infliger à des soumises ou des soumis consentants, de magnifiques photos à l’appui. De très belles photos en noir et blanc : des soumis menottés, des jeunes filles écartelées… des photos intimes, émouvantes et excitantes à la fois.
– C’est le patron qui les prend, il est doué !

Alice se sent de plus en plus oppressée, elle préfère abréger l’entretien, tant pis, elle se débrouillera pour rédiger son article. Elle bredouille des remerciements, explique qu’elle a envie de faire un tour dans le magasin.
– Bien sûr, n’hésitez pas à revenir me voir si vous avez des questions, vous pouvez laisser vos affaires ici si vous voulez…

Telle Alice au pays des merveilles, la journaliste pénètre dans un nouveau monde, un immense espace dédié aux plaisirs du bsdsm, aux délicieuses souffrances, aux jeux de domination… Elle se dirige naturellement vers les rayons les plus familiers : les vêtements. Des jupes, des bustiers, des robes s’offrent à perte de vue. Elle ne résiste pas à l’envie d’en essayer quelques-unes. Elle se tortille pour entrer ses formes dans une combinaison moulante, se sent toute nue dans des robes fines comme une seconde peau, décolletées, très courtes, ultra sexy ; elle enfile des soutien-gorge qui ne cachent rien, des corsets… Il est difficile de les lacer seule, elle n’ose pas appeler à l’aide le vendeur concentré près de la caisse. Des tenues qui donnent envie de faire la fête, de la façon la plus décadente qui soit, dans une orgie de cuir, de vinyle, de latex… Alice palpe les matières, s’imprègne du contact particulièrement doux, collant du latex, elle préfère plutôt le wetlook, plus facile à enfiler… et à retirer…

Vêtue comme une amazone, Alice se sent investie de nouveaux pouvoirs, le monde lui appartient ! Elle se redresse, prête à affronter les rayons des accessoires. Elle ne prend pas le temps de se changer, elle préfère garder sa robe fétish. En cette heure matinale, il y a peu de clients encore, elle pourra juger de l’effet avec un martinet, un fouet… La panoplie complète de la domina, il ne lui manquera plus qu’un soumis au bout de sa laisse !

Alice ne fait que passer, songeuse, devant la vitrine des cages de chasteté, les masques contraignant la respiration lui donnent la chair de poule, elle se détourne aussi des accessoires de type gynécologique, des pinces à seins… Elle préfère s’attarder longuement devant les plugs brillant comme des bijoux, les sextoys plein de promesses, les masques vénitiens, avant de s’arrêter devant un mur couvert de martinets. Un martinet noir et rouge attire son attention. Il est en daim, très doux au toucher.

Alex surgit à ses côtés, la faisant sursauter. Il s’empare du martinet qu’elle manipulait doucement.
– Celui-là est parfait pour démarrer une séance, pour préparer la peau avant l’usage des martinets en cuir, qui frapperont plus durement. On parle de martinets warm up. Il faut y aller progressivement pour que le plaisir soit au rendez-vous !
Tout en parlant, il promène les lanières du martinet sur les bras nus d’Alice, son décolleté, son cou, pour qu’elle éprouve la douceur de cette caresse particulière.
– Il est tellement doux qu’on peut même en jouer sur les seins….
Alice frissonne, de frayeur et de désirs mêlés.
– On peut l’utiliser plus fort aussi si l’on veut, tendez-vos paumes de main.
Comme une écolière d’autrefois, la journaliste tend ses mains et reçoit quelques coups de martinet, savamment administrés d’une poigne de fer. Alex sait parfaitement mesurer sa force, il dose ses coups afin qu’ils la réchauffent toute entière, sans lui faire mal.
Il lui fait un clin d’œil.
– Je vois que vous vous équipez de pied en cap, jolie robe ! Il ne manque plus que les talons aiguille… Un petit conseil, avant de s’improviser dominatrice, il faut tester les sensations de l’autre côté de la barrière, expérimenter la soumission. Fermez les yeux !
Alice obéit aussitôt, elle ne sait pas trop pourquoi, il est si sûr de lui, cela s’est fait naturellement. Elle se sent en confiance, il s’y connaît, il n’y a pas l’ombre d’une ambiguïté entre eux, ou s’il y en a, c’est uniquement de son fait à elle. Lui veut simplement lui montrer, lui apprendre, l’aider à découvrir cet univers en sautant quelques étapes. Elle s’abandonne entre ses mains, les yeux fermés. Elle pousse un petit cri de surprise, Alex est en train d’enrouler autour de sa tête une sorte de scotch.
– Ne craignez rien, ça ne colle pas, c’est du bondage tape, il ne colle que sur lui-même, c’est pourquoi je fais deux tours… là, c’est bon, vous avez les yeux bandés… je pourrais l’utiliser aussi pour vous attacher, mais je vais prendre de vraies menottes.
Il saisit ses mains, les tire en arrière ; le clic du cadenas qui se referme fait bondir le cœur d’Alice.
– Si vous êtes souple, je peux attacher vos chevilles aussi, les relier à vos bras…

Il n’a pas lâché son poignet, il sent son pouls s’accélérer, sa peau devenir moite, il préfère la libérer, elle s’est tendue. Cela fait peut-être beaucoup pour une première fois, même si elle semble avoir quelques dispositions. Il a bien noté la façon dont elle lui a obéi sur le champ, fermant les yeux tout de suite, son abandon ensuite, quand il l’a attachée.
Il enlève le ruban autour de sa tête.
– Vous pouvez ouvrir les yeux. Je vois que vous aimez bien les oreilles de chat !
Il lui sourit, visiblement amusé. Alice lève les yeux au ciel, elle a oublié de retirer le serre-tête avec les oreilles en cuir noir.
– Vous devriez aimer le thème de notre prochaine Nuit Dèmonia : « contes de fées » ! Vous êtes déjà en chatte bottée avec ces oreilles et vos bottes… Tenez, c’est pour vous, cela vous donnera une autre idée d’article !

2018-02-22 21 Légèrement étourdie, Alice prend le papier que lui tend Alex, un billet d’entrée pour la Nuit Dèmonia. Une Alice en latex lui fait signe, l’invite à la suivre plus loin au pays des merveilles. La journaliste balbutie des remerciements, des paroles confuses ; elle doit partir, elle est en retard.
– Revenez-nous voir quand vous voulez si vous en avez besoin pour votre article ! Ou des emplettes à faire… sinon, je chercherai une chatte bottée lors de la nuit Dèmonia !

Elle n’attendra pas cette soirée pour le revoir, elle a déjà envie de revenir. Elle n’a pas osé poser toutes ses questions, ni essayé toutes les robes… Elle voudrait expérimenter d’autres choses aussi, un martinet de cuir, pour sentir la différence, le paddle, la roue crantée peut-être… pourvu que ce soit Alex qui l’accueille à nouveau.

A suivre ici

   Pour en savoir plus

   La Boutique Dèmonia

   La Nuit Dèmonia

  

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