L’invitation

Je suis en contact sur les réseaux sociaux avec un couple vivant une relation de domination-soumission. Ils me confient parfois leurs expériences, leurs séances et leurs jeux. Dans la vie, chaque couple fonctionne différemment, et dans le BDSM aussi ! Eux vivent une relation BDSM très engagée, et très joueuse aussi.
Pour Noël, Ker a imaginé pour sa soumise un calendrier de l’Avent un peu particulier, avec des épreuves chaque jour, et il m’a confié l’une des « cases ». J’aime lire les messages d’Aurora, aussi je lui ai demandé de m’écrire une histoire. Elle m’a beaucoup plu ! Et avec son autorisation et celle de son maître, je la recopie ici.

Merci à tous les deux de m’inclure à l’occasion dans vos jeux, et un grand merci à Aurora pour cette histoire que j’ai savourée…
Un récit à trois voix, avec un code couleur pour se repérer :
– Ker en noir
– Aurora en bleu
Puis vous verrez ^^

***

J’entends la porte de la maison, elle arrive.
Je me dépêche de fermer les pages internet ouvertes sur mon écran d’ordinateur. Mon Esclave est discrète mais très observatrice, elle aurait tôt fait de tomber sur un indice qui lui mettrait la puce à l’oreille, et je veux absolument la surprendre !
– Maître, je suis au nid ! Je suis à votre disposition !
Elle se prosterne, garde la pose le temps imparti. Je savoure la vue sur la cambrure de ses reins. Je devine la forme de ses fesses. J’observe comme elle s’applique, même si je fais semblant de l’ignorer ou si je la taquine avec ma voix mielleuse et mon ton moqueur :
– Ratchatchi, ratchatcha ! Et c’est à cette l’heure-là qu’elle rentre !… Oh ma petite Esclave, je ne vous avais pas vue, vous êtes là…

Vendredi après-midi, le début du weekend ! Je rentre et retrouve ma place aux pieds de Mon Maître. Prosternée, je relâche la tension. Il ne me reste plus qu’à me laisser porter, suivre ses directives, et profiter. Je savoure ce moment fugace où je lui baise la main. Prosternation et baisemain : notre rituel de retrouvailles, comme tous les jours, et pourtant j’ai une impression de quelque chose d’inhabituel… mais quoi ?
– Maître, puis-je aller me changer ?
– Oui, vous avez très exactement 30 minutes, pour vous changer et revenir vous mettre à genoux sur votre tapis.
Je pousse la porte de ma chambre et me fige. Il y a bien un truc qui se prépare ! Sur mon lit, bien en évidence, jupe, chemisier, gilet, porte-jarretelles et bas. Le message est assez simple à deviner : Maître a choisi la tenue ! Je souris ! Il y a une éternité qu’il n’a pas fait cela. A ce moment, mon cerveau réalise le quelque chose d’inhabituel : Maître a troqué son éternel tee-shirt pour une chemise. Mmm, ça sent la sortie… Restaurant !? Il est un peu tôt…

Je guette les petits bruits à l’étage. J’imagine sa réaction en trouvant la tenue préparée sur son lit. Je la suis à l’oreille en fonction du bruit de ses pas sur le parquet. Elle passe de la chambre à la salle de bain, plusieurs fois. Elle aura probablement compris ce que j’attends : qu’elle soigne sa coiffure, applique un maquillage léger, choisisse un bijou ou deux…
La demi-heure accordée tire presque à sa fin, et j’ai hâte de la voir revenir s’agenouiller à mes côtés. Je lis consciencieusement un article pour une recherche. Ou plutôt, je relis la même phrase pour la quinzième fois ; pas moyen de me concentrer ! Enfin, craquement des marches, pas légers sur le parquet, froissement de tissu, la voilà en position. Les yeux rivés sur mon article, je compte mentalement : 5, 4, 3, 2, 1, et je me tourne vers elle. Ses yeux pétillent et son sourire illumine son visage.
– Je suis à votre disposition Maître.
– Nous sortons ! Mettez votre manteau, attrapez votre sac et allez m’attendre dans la voiture.

Assise à la place passager, je sors mon téléphone. Messenger : je rédige un petit mot pour ma fille et pour mon fils, prendre de leurs nouvelles, leur souhaiter de passer un bon weekend. Je souris intérieurement en pensant à Maître qui va arriver, ouvrir la portière et me dire « Encore sur votre téléphone ! Je vais finir par croire que vous avez un amant ! », juste pour me taquiner ! Finalement, j’ai largement le temps de terminer mes messages, ranger mon téléphone, et Maître n’est toujours pas là. Je regarde dans le rétroviseur, tire le cou pour voir si je l’aperçois par la fenêtre de la cuisine… Rien. J’attends. Et sans même m’en rendre compte, me voilà partie dans les nuées de mon imagination. Je suis là et pas là. Je ne pense à rien et à tant de choses en même temps.
La portière s’ouvre ; je sursaute laissant échapper une petite exclamation, et il rit de ma réaction.
– Puis-je savoir où nous allons ?
– Non, c’est une surprise !

L’inconvénient d’habiter à la campagne, c’est qu’il faut souvent faire une longue route pour rejoindre nos lieux de sortie favoris. L’avantage, c’est que les kilomètres défilent et Aurora ne se doute toujours de rien. Ce n’est que lorsque je m’engage sur l’autoroute qu’elle réagit et m’interroge du regard.
– Je ne peux toujours pas savoir ?
– Vous pouvez deviner…
Elle reste silencieuse, mais je sais que son cerveau tourne à plein régime. Je la regarde du coin de l’œil. Son visage semble impassible, comme si rien ne la touchait. Je sais qu’il n’en est rien : quand donc apprendra-t-elle à s’exprimer, laisser sortir ses émotions, ses sentiments, ses doutes, ses peurs, ses joies… ? Enfin elle s’illumine…

– Amiens ?!
A voir son sourire, je sais que j’ai trouvé la réponse !
– Vous m’emmenez à Amiens ! C’est pour cela que nous sommes partis si bonne heure ?!
J’ai beau avoir trouvé, une foultitude de questions se forment dans mon esprit, si vite que je suis incapable d’en formuler une seule. Amiens n’est pas très loin, mais pas assez près pour un aller-retour dans la soirée. Où allons-nous dormir ? Pour combien de temps sommes-nous partis ? Qu’allons-nous faire, voir, visiter ? Quoi ? Qui ?
Heureusement Maître coupe court à la furie de mes pensées.
– J’ai mis nos valises dans le coffre avant votre retour. J’ai loué un Airbnb. Nous passons le weekend sur place.
– Vous avez préparé ma valise, mes affaires ?!
Voilà quelque chose qui me déstabilise. J’aime prendre tout un tas de petites choses lorsque nous délogeons. J’ai mes petites manies à moi, mes petits rituels…
– Lâchez prise ! Profitez du moment !
Oui, lâcher-prise… Pour autant, impossible maintenant pour moi de faire taire mes pensées et rêveries dans mon esprit. Divers scenarii se forment, se déforment, se télescopent… La cathédrale ? Les hortillonnages ? Un spectacle, un concert ? Est-ce qu’Amiens a une grande salle de spectacle, un Zénith ? Et puis, un Airbnb ? Peut-être une love room, ou pas…

Je surveille l’heure de près, et je vérifie que nous sommes bien dans le timing qui n’offre pas de marge de manœuvre. Et puis, la surprise ne fait que commencer…
Sitôt les affaires déposées à la location, j’invoque mon envie d’une bonne bière en terrasse pour accompagner mon cigare quotidien pour ressortir aussitôt. Depuis l’appartement situé en plein centre-ville, il ne nous faut pas plus de cinq minutes pour rejoindre notre lieu de rendez-vous. Mais cela, Aurora ne le sait pas…

Nous marchons depuis peu lorsque Maître repère un établissement avec terrasse. Un temps d’arrêt de sa part, un regard en coin, je comprends que je me dois de passer devant, comme il l’exige toujours. J’entre donc et interpelle un membre du personnel afin d’avoir une table en terrasse, pour boire un verre, et fumer.
Une table nous est attribuée, un peu à l’écart. Je fais très attention de ne pas céder au piège de m’asseoir avant d’en avoir reçu l’autorisation, et c’est d’autant plus difficile que Maître tarde beaucoup plus qu’à l’ordinaire. Il voit bien que je trépigne…
– Il va falloir apprendre à patienter mieux que cela. Arrêtez de gesticuler et placez vos mains dans le dos !
C’est la première fois que Maître a cette exigence marquée à ce point. C’est troublant, mais cette directive claire de sa part me calme instantanément. J’obéis. Je n’ai plus à me préoccuper de savoir comment me tenir : je place mes mains dans le dos et j’attends. Il s’assoit et continue de prendre son temps. Il me teste, me pousse dans une zone que je ne maîtrise pas bien. Cela ne dure qu’une dizaine de secondes, mais c’est bien suffisant pour percevoir comme cela me trouble et me fait réagir. C’est une sensation étrange de gêne, de fierté et d’apaisement : je suis juste à ma place.

– Asseyez-vous !
Je souris. J’aime ce que je viens de voir dans ces instants d’attente que je lui ai imposés. Le léger sursaut de surprise, sitôt effacé derrière son obéissance sans faille, m’a emporté dans un souvenir, sur une autre terrasse dans les rues de Rouen, lorsque je lui ai demandé de retirer sa culotte à notre première rencontre… Le même temps d’arrêt, suivi de la même détermination à obéir…

Les surprises continuent. Maître a décidé de choisir ma boisson, et je sirote gentiment mon eau gazeuse pendant qu’il trempe sa moustache dans la mousse de sa bière. Je me sens bien mais, une partie de moi reste sur le qui-vive : il y a vraiment un je-ne-sais-quoi d’inhabituel dans l’air !

– Regardez discrètement sur votre droite.
Elle se tourne, lentement comme quelqu’un qui observe ce qui l’entoure, regardant sans regarder, façon rêverie, tout en cherchant ce qu’elle est censée voir. Et elle la voit, presque instantanément, une de ses autrices préférées et dont elle suit quasi quotidiennement les publications sur les réseaux. Attablée à quelques mètres de nous, elle s’applique à écrire sur un carnet, une tasse de café fumant à ses côtés.
– Maintenant, écoutez-moi bien ! Voilà exactement ce que vous allez faire !

Je me sens un peu dans un état second, comme si j’étais observatrice de moi-même. Comme demandé, je m’avance vers Clarissa. Je m’arrête auprès de sa table, attends juste un court instant avant de répéter le message que je suis venue lui délivrer :
– Bonjour Madame.
Elle relève la tête, me regarde, mais ne dit rien, alors je poursuis.
– Je vous prie de bien vouloir m’excuser de vous déranger ainsi. Mon Maître m’a autorisée à venir solliciter votre attention pour un autographe.
Je garde la tête droite et fière, mais le regard légèrement vers le bas, ainsi que Maître l’a précisé dans ses consignes. Je lutte pour rester zen mais je me sens perdue, loin, très loin de ma zone de confort.
– Un autographe ?
– S’il vous plait, Madame.
– Non, je n’ai pas envie !
La réponse me laisse sans voix, et je suis à deux doigts de repartir rejoindre Maître, en oubliant le reste de sa consigne « quelle que soit sa réponse… »
– Je vous demande pardon Madame. Si cela vous agrée, Mon Maître souhaite vous offrir une boisson à partager avec nous à notre table.
– Je vais réfléchir ! Disparaissez, petite Esclave !
Je rejoins notre table, complètement déstabilisée. Combien de fois avais-je dit à Maître, que je percevais beaucoup de bienveillance chez Clarissa… Si j’avais eu le temps d’anticiper et d’imaginer un scénario, ce n’est sûrement pas celui-là qui me serait venu à l’idée.

J’attends qu’Aurora se soit de nouveau assise à mes côtés. Je vois bien qu’elle est déstabilisée. Je la connais, comme si je l’avais pondue ! J’espérais bien que cette demande la troublerait, et sa réaction est au-delà de mes espérances.
– Qu’a-t-elle dit ?
– Elle réfléchit.
– Pour l’autographe, elle réfléchit ?
– Non, elle réfléchit pour votre invitation. Pour l’autographe, elle m’a envoyée bouler.
– Vous êtes déçue ?
Elle soupire et prend un temps avant de me répondre
– Et bien, oui, même si je ne devrais pas. J’aurais préféré une autre réponse, mais je pense que j’ai omis de prendre un détail important en considération.
– Ah ? Lequel ?
– C’est une Dominante, et elle m’a bien fait sentir que je ne suis qu’une Esclave !
Elle est encore à mille lieues d’imaginer que tout cela est un coup monté.

Je ne suis qu’une Esclave… Je réalise soudain… Clarissa m’a appelée « petite Esclave » ; elle n’a pas dit « Soumise » ! Je regarde Maître, je scrute son visage. Ses yeux pétillent de malice. Je me retourne pour regarder Clarissa. Elle nous regarde en souriant. Maître lui fait un signe de tête et elle se lève pour nous rejoindre.

Jouer cette petite mise en scène en rembarrant Aurora avec sa demande d’autographe était très agréable ! Il y a longtemps que je n’avais pas eu une si belle prise de contact, aussi jubilatoire. Ker m’a beaucoup parlé d’elle avant que je n’accepte cette rencontre, il me semble la connaitre déjà : elle a réagi presque exactement comme il l’avait prévu. Et c’est à mes yeux une belle preuve de la complicité qui les unit. J’étais encore très sceptique en arrivant un peu plus tôt, mais ces quelques brefs instants m’ont donné envie d’aller plus loin, d’entrer pleinement dans mon jeu de rôle favori !
– Bonjour Ker, heureuse de te rencontrer enfin !

Je manque d’éclater de rire en voyant le regard que Ma Chère Esclave me décoche. Je jubile intérieurement, mais je me retiens aussi. Je ne voudrais pas en rajouter trop, et que les émotions la submergent.
J’accueille Clarissa en lui rendant sa bise et engage de suite la conversation avec elle afin de laisser à Aurora un petit temps pour réaliser et encaisser la surprise.

Je les écoute tous les deux et comprends que tout était prévu, organisé, scénarisé. Je suis partagée entre l’envie de me fâcher, de crier, de rire, de me réjouir, de stresser aussi…
Je les écoute et pourtant je me trouve bien malgré moi emportée par mes pensées vagabondes, et mes éternels questionnements.
Tous les scenarii que Maître aime me raconter me reviennent en mémoire… Qu’ont-ils donc bien pu prévoir tous les deux ? A quelle sauce vont-ils me cuisiner ?
– Aurora ! Vous êtes avec nous ?
– Oui Maître, pardon ! Je suis… Je suis un peu… déstabilisée…
– Oui, je le vois et je comprends, mais il faut vous ressaisir de suite ! Clarissa nous fait l’honneur de sa présence, faites-moi l’honneur de tenir votre place et votre rang !
– Oui Maître !
Je regarde Clarissa. Son sourire bienveillant m’apaise. Mes craintes s’envolent.
– Habituellement, je ne rembarre pas mes fans qui me demandent un autographe et je n’aurais jamais eu l’idée de le faire si votre Maître ne l’avait pas demandé. Ce que je vous propose maintenant, c’est de m’accompagner à ma séance de dédicace organisée par la grande librairie du centre-ville.
Je me retourne et adresse un sourire de remerciement à Maître qui m’offre ce moment de liberté joyeuse. Clarissa m’a accroché le bras et m’entraine quelques rues plus loin.
– Pour le moment, nous faisons connaissance, vous pouvez me considérer un peu comme une copine, et m’appeler Clarissa. Un peu plus tard, les choses seront différentes.
– Maître ne m’a pas donné son autorisation pour vous appeler par votre prénom.
– Dans ce cas, respectez ses consignes, c’est tout à votre honneur !
La librairie est déjà bondée lorsque nous arrivons. Clarissa est aussitôt accaparée par les organisateurs, et les visiteurs se transforment en paparazzi. Je me tiens à l’écart, profite pour visiter les recoins éloignés de la boutique. Bientôt le libraire entame son petit discours de bienvenue, et invite Clarissa à faire une courte lecture avant de passer à l’exercice d’écriture. Les quelques sièges prévus pour l’événement sont pris d’assaut.

Le brouhaha des spectateurs se dissipe lentement. Je suis installée, livre en main, comme un professeur attendrait que ses élèves se taisent pour commencer… J’aime bien ce petit moment de pouvoir, savoir que je les tiens tous en haleine, avant la difficulté d’écrire lisiblement des dédicaces adaptées à chacun. Mon regard balaye l’assemblée, avant de l’apercevoir tirant le cou entre deux étagères, coincée derrière la foule. Je lui fais signe de s’approcher.
– « Je veux une chaise, ici au premier rang, pour Aurora qui m’accompagne aujourd’hui. »
J’observe son calme apparent, mais je vois bien qu’elle a rougi un peu, et son visage est devenu sérieux derrière son sourire de façade. Elle se fraye un passage tout en s’excusant, et le gérant lui cède sa place à contrecœur. Plusieurs personnes se chuchotent des messes basses ; je suis certaine que son collier n’est pas passé inaperçu !

La lecture est de courte durée, mais j’ai du mal à faire fi des regards curieux posés sur moi pour me concentrer sur le texte. Le temps des signatures s’avère plus agréable. Chacun ayant eu son petit moment personnel avec l’autrice, la boutique se vide, petit à petit, retrouvant sa tranquillité habituelle.
Je me décide donc à me mettre dans la file, la dernière, histoire d’avoir moi aussi ma dédicace, mon autographe !
Lorsqu’arrive enfin mon tour, Clarissa regarde les alentours, demande s’il y a encore d’autres personnes qui souhaitent un autographe, mais je suis bel et bien la dernière.
– Vous aurez votre autographe plus tard, quand vous aurez payé le prix pour le mériter, demain peut-être, ou plus tard…
Et elle referme son stylo.

Clarissa me prend le bras et m’entraine de nouveau dans les rues, jusqu’à la consigne de la gare où elle a déposé ses bagages.
– Puis-je vous aider ?
– Non, vous ne pouvez pas, vous devez ! Je ne vais pas porter mes valises quand j’ai la chance d’avoir une Esclave qui m’est prêtée pour être à mon service !
Le ton est donné ; l’ambiance a changé !
Me voilà bientôt chargée d’une valise à chaque bras (heureusement elles ont des roulettes et ne sont pas trop lourdes), un sac sur le dos, en train de suivre Clarissa qui marche devant moi, jusqu’à l’appartement que Maître a loué. Nous sommes passés si vite en arrivant que je n’avais pas eu le temps de remarquer à quel point c’est un grand appartement, et qu’une chambre est réservée pour Clarissa.
Maître nous attend dans l’espace séjour. Ses yeux pétillent et je devine son sourire taquin caché dans sa moustache. Je sais qu’il savoure d’avance, qu’il imagine les surprises, les plaisirs, les sensations…
– Allez déposer les bagages de Clarissa dans la chambre du fond. Changez-vous et en revenant, vous nous servirez un apéritif.
Sentiment étrange d’évoluer dans cet environnement que je ne connais pas. Je trouve mes affaires dans une minuscule chambre, un petit espace aménagé en couchage d’appoint. Maître a préparé une tenue : jupe écossaise très courte, corsage transparent et chaussettes hautes. Je souris en l’enfilant et décide de tresser mes cheveux avant de les rejoindre.
Clarissa occupe le canapé tandis que Maître trône dans un grand fauteuil. Du regard, Maître m’indique l’espace cuisine où je trouve une bouteille de champagne. Je prépare donc un plateau. J’hésite un instant, mais je n’ai pas eu de consigne de me servir moi-même, je m’en tiens donc à deux coupes, et reviens bientôt au salon. Je m’applique à remplir les coupes, puis comme je le fais traditionnellement, je donne son verre à Maître ; à genoux, je reçois son baiser. Je me relève et vais m’agenouiller de la même manière pour présenter son verre à Clarissa.
Regard légèrement baissé. Quelques secondes de flottement. Peut-être s’échangent-ils un regard par-dessus mon épaule ? Finalement elle saisit sa coupe d’une main et me tend l’autre. Message sans parole. Je lui baise la main. Sa peau est douce, légèrement parfumée. Je ferme les yeux, savoure le moment en me retenant de frotter ma joue sur ses doigts qui déjà s’échappent et viennent me caresser les cheveux.
– Elle a été bien sage. Tenue irréprochable à la librairie !
– J’aurais été fâché d’apprendre le contraire !
– Retirez-moi mes chaussures !
Je m’applique, lentement mais d’un geste que je veux assuré, et retire l’un après l’autre, ses escarpins. Son pied vient caresser ma joue, puis ma bouche. Je dépose de petits baisers légers à travers la soie de son bas qu’elle m’invite à retirer également. Je sens mon cœur qui s’accélère, et une légère bouffée de chaleur m’envahir. Mes mains remontent centimètre après centimètre le long de son mollet, parcourent la courbe de son genou et continuent sur sa cuisse, jusqu’à trouver le bord de sa jarretière. Je redescends tout aussi lentement. Mes doigts tracent une ligne sur sa peau, centimètre après centimètre. Je souris intérieurement de voir le grain de sa peau changer sous les frissons que cela lui procure. Arrivée aux orteils, je renouvelle le même voyage sur l’autre jambe. La discussion avec Maître s’est interrompue. Je sens que sa respiration a changé.
Coup de sonnette ! Je sursaute.
– Voilà notre repas qui arrive ! Aurora, allez ouvrir !
J’ouvre la porte sur un livreur qui, bouche bée, me scanne de haut en bas et de bas en haut avant de retrouver la parole et de me confier son paquet. Une fois la porte refermée, Maître vient à ma rencontre.
– Donnez-moi ça, je vais m’occuper du repas, et vous, retournez auprès de Clarissa, poursuivre ce que vous avez commencé.

Elle s’agenouille de nouveau devant moi, et hésite ; le livreur l’a interrompue dans son élan, elle cherche comment reprendre.
– Ces escarpins sont une torture ! Massez-moi les pieds !
J’étends la jambe et elle saisit délicatement mon pied ainsi tendu. Elle commence juste par l’envelopper entre ses deux paumes dans un contact ferme mais bien dosé. Je sens la chaleur de sa peau se répandre agréablement. Le premier glissement de ses mains sur la voûte plantaire me fait frissonner. Elle commence par des pressions légères, explorant chaque courbe, chaque creux avec attention. Ses pouces tracent des cercles lents et réguliers, s’enfonçant juste assez pour éveiller une douce chaleur, sans jamais franchir la limite du confort. Je l’observe, concentrée sur sa tâche, appliquée, et je note les mouvements de son corps qui accompagnent ses mains. Elle a la tête penchée et je ne vois pas bien son visage. Pourtant, j’ai l’impression de la voir sourire, les yeux fermés, comme quelqu’un qui savoure une douceur. Elle réitère l’exercice sur l’autre pied avec la même application. Je sens mes muscles se détendre, bien au-delà de mes pieds. Bien qu’elle ne dépasse pas mes chevilles, les effets de son massage se diffusent dans l’ensemble de mon corps. Une dernière gorgée pour terminer ma coupe avant de la déposer, et je bascule la tête en arrière avec un grand soupir d’aise, les paupières mi-closes, bercée par le rythme apaisant de ses mouvements.
– Si le massage est fini, je vais récupérer mon Esclave un petit instant et nous pourrons passer à table !
Je n’ai pas entendu Ker nous rejoindre. Me serais-je assoupie un instant ?

Maître me désigne la longue table du séjour, préparée comme pour l’une de nos séances : un tapis de sol recouvert d’une serviette épaisse et un coussin pour la tête. Je devine ce qui se prépare en apercevant les baguettes chinoises et le plateau de sushis déposé sur la desserte. Je retire rapidement mes vêtements et m’allonge totalement nue, en veillant à me détendre ; je vais devoir rester sans bouger un bon moment. Je me réjouis d’avance de découvrir cette pratique et de nouvelles sensations.

Une fois Aurora installée, j’entreprends de disposer les sushis livrés plus tôt, un peu partout sur son corps. Cet exercice met ma délicatesse et ma patience à l’épreuve. Aurora doit le ressentir car elle me suit du regard et se retient de sourire ouvertement.
– Restez concentrée au lieu de surveiller ce que je fais !

– Waouh, superbe !
C’est la seule chose que je trouve à dire lorsque Ker m’invite à passer à table. Aurora est magnifiquement décorée de divers sushis, posés ici et là sur des feuilles d’épinard, de capucine, et d’oseille. Elle a les yeux fermés et je vois qu’elle respire lentement, concentrée pour ne pas bouger. Ker me tend une paire de baguettes et m’invite à me servir en me montrant l’exemple.

Je frissonne lorsque je sens les baguettes effleurer ma peau et retirer le premier sushi, au point que je manque de bouger. Je ne me laisse pas surprendre lorsque la sensation se reproduit, et garde le contrôle de mon immobilité. Pourtant, chaque effleurement est une surprise, une caresse furtive, sur mon épaule, ma cuisse, mon bras, ma poitrine… Chaque parcelle de mon corps me semble comme une pièce de puzzle séparée des autres. Pour autant, chaque frisson se répand, telle une onde et parcourt chaque fois l’intégralité de ma peau. Le moindre sushi qui s’envole semble me retirer un poids. Je savoure chaque sensation…
Bien sûr, Maître est joueur, et Clarissa aussi. Les voilà bientôt qui me taquinent de leurs baguettes : ils me piquent, me pincent, me griffent, me chatouillent… Il devient de plus en plus difficile de ne pas bouger. Et ce qui devait arriver arriva !

J’admire le self-control d’Aurora alors que Ker et moi la taquinons depuis un moment avec nos baguettes. Il ne reste qu’un seul sushi lorsqu’elle craque et bouge. Oh pas beaucoup, juste un peu, un peu trop… Elle se reprend aussitôt, bloque sa respiration, écarquille les yeux pour accrocher le regard de son Maître. Sourcils froncés, regard sérieux, visage impénétrable. Un instant, je me demande s’il est contrarié pour de bon.

– Un sushi tombé, c’est un gage !
– Un seul, c’est une belle performance, je crois que nous pouvons attribuer nos félicitations ! intervient Clarissa.
– Merci, et quel est donc mon gage ?
– Clarissa, que proposez-vous ?
– Allez donc manger ce sushi qui vous a échappé. A genoux, mains dans le dos.
Je me redresse doucement et aperçois la petite boule de riz qui a roulé juste au bord de la table. Je m’agenouille et place mes mains dans le dos, comme indiqué puis j’avance doucement. Maître suit chacun de mes mouvements de près, je suis sûre qu’il est prêt à bondir au cas où je viendrais à manquer d’équilibre. Arrivée à la bonne distance, je me penche lentement et attrape le sushi du bout des dents. Je me redresse et le déguste. Mon appétit se réveille soudain, j’ai faim !
– C’est délicieux ! Vous avez dû vous régaler !
– Eh bien puisque vous aimez cela, en voici un autre !
Clarissa, une assiette dans une main, des baguettes dans l’autre, dépose un sushi un peu plus loin. D’un regard, d’un geste, Maître me confirme que je dois garder mes mains dans le dos. Je me décale pour me positionner et me penche pour attraper ma bouchée. Maître en profite pour reprendre les taquineries en me caressant le flanc avec ses baguettes. Je sursaute de surprise, mais récupère mon sushi et le gobe. Je le savoure tandis que Clarissa en dépose un autre, un peu plus loin. C’est un étrange et agréable petit pique-nique qui s’offre à moi. A genoux sur la table, mains dans le dos, je picore mes boules de riz une à une, comme un petit oiseau aurait mangé les miettes de pain semées par le petit Poucet.

Le repas terminé, je m’installe dans le canapé. Aurora est chargée de débarrasser et ranger. Nous profitons avec Ker pour déguster nos verres, un verre de vin pour moi, un verre de whisky pour lui, et discuter un peu. J’ai aperçu, un peu plus tôt, ses différents jouets d’impact. Ils ressemblent à ceux que j’ai ou que j’ai déjà pu voir, mais je sais aussi que chaque objet est unique, et ça me démange tout à coup de les tester…

Depuis l’espace cuisine, je les entends papoter. Je ne comprends que quelques mots, mais assez pour deviner, et surtout, assez pour m’émoustiller : ils ont ouvert le sac d’accessoires. J’imagine ce qu’il contient ; peut-être contient-il même plus que ce que nous emportons habituellement avec nous lorsque nous voyageons ?

J’ai installé Aurora, dos à la porte du séjour. Elle a les mains en l’air, accrochés à une patère (de celles qui se crochent sur les hauts des portes ; j’adore les objets détournés de leur usage premier, encore plus quand c’est mon Esclave qui les achète, innocemment). Je lui mets un bandeau sur les yeux, et un casque sur les oreilles. La musique l’empêchera d’anticiper. Nous discutons encore un peu avec Clarissa, histoire de faire durer le plaisir de l’attente. Je surveille Aurora du coin de l’œil. Elle reste calme, immobile, mais je vois bien à sa respiration irrégulière qu’elle commence à s’interroger. Je fais signe à ma complice et l’invite à prendre un accessoire de son choix.

L’attente m’a semblé si longue que je sursaute et laisse échapper un petit cri lorsque le premier coup tombe. C’est un petit coup, tout doux, mais je ne m’y attendais pas. Je comprends très vite qu’ils ont chacun leur martinet, et qu’ils me frappent, chacun leur tour, chacun leur rythme, chacun leur puissance, chacun leurs variations. Mon esprit tente d’analyser. Il cherche, qui, où, quand, avec quoi. Impossible de m’y retrouver. Le rythme s’intensifie. Je sens ma peau qui chauffe, qui pique, qui s’apaise et qui de nouveau réagit. J’ai un peu de mal à me contrôler, trop de questions inutiles se bousculent dans mes pensées. Je commence à avoir sérieusement mal, et à me demander jusqu’où je vais tenir, si je vais tenir, si je vais utiliser mon safeword. Je sens que je me crispe. Et puis, je ne sais plus… Ce n’est plus ma peau qui chauffe et qui pique, c’est tout mon corps, tout mon être. Les ondes de sensations me pénètrent, me traversent. Elles vont, viennent comme des vagues dans mes tripes. Un étau se serre irrémédiablement dans mes entrailles…

Je n’ai pas bien l’habitude de fouetter quelqu’un aussi longtemps, surtout que je connais depuis si peu de temps. Mais Ker est un bon guide, et un bon Maître vigilant. Et Aurora m’impressionne. Ses sursauts du début ont passé très vite pour se changer en quelque chose de plus crispé. Sa peau a changé de couleur, et j’ai eu peur de lui faire mal pour de bon. Je n’aurais peut-être pas insisté plus si Ker ne m’avait rassuré du regard et chuchoté « elle a son code si elle a besoin d’arrêter ». Petit à petit, ses mouvements ont changé. Des sons à peine audibles ont commencé à sortir de sa bouche pour devenir progressivement des gémissements, presque des mélopées qui accompagnent les mouvements incontrôlés de son corps. J’aurais aimé voir ses yeux…

Enfin ! Il y a si longtemps que j’attendais ce moment. Enfin, elle a lâché prise ! Nous poursuivons encore un moment notre séance à deux martinets, et puis nous ralentissons pour arrêter progressivement. Aurora continue de gémir, et moi qui la connais bien, je sais que ce sont des gémissements de bonheur. Je lui retire le casque, puis le bandeau. Elle garde les yeux fermés, éblouie par la lumière pourtant tamisée. Je lui détache les mains, et la soutiens pour l’emmener jusqu’au canapé où je l’enveloppe dans une couverture polaire.
– Merci…

Elle est magnifique dans son abandon. J’ai terriblement envie de la serrer dans mes bras.
– Je peux ?
Ker opine et me cède la place. Je m’assois à ses côtés, me glisse avec elle sous la couverture, l’entoure de mes bras. Elle se laisse faire. Mieux, elle cale sa tête contre mon épaule. Lentement, nous glissons, allongées l’une contre l’autre, enlacées.
– Merci…

 

Merci de m’avoir mise en scène et invitée à participer à votre séance BDSM imaginaire !

 

9 commentaires

  1. JFBxl a écrit :

    Très joliment conté… J’ai beaucoup apprècié cette façon de raconter à trois plumes. Vivement une autre histoire !

    1. Aurora Mona a écrit :

      Merci à vous de votre compliment.
      Quant à une autre histoire… allez savoir !

  2. William a écrit :

    Très beau récit, bien amené, très bien construit. Belle imagination, et belle plume. C’était un plaisir de le lire.

    1. Aurora Mona a écrit :

      Merci de votre retour et compliment.

  3. Un très beau récit, bien écrit, vivant. Félicitations à vous trois pour cette belle rencontre et la manière dont Aurora l’a racontée.

    1. Aurora Mona a écrit :

      Votre compliment me touche particulièrement, merci.
      Je préciserais juste qu’il s’agit d’une fiction…

    2. Ker mc gwalch a écrit :

      Merci pour ces encouragements

  4. Je suis fier de la plume d’Aurora, de son engagement à satisfaire et Clarissa et Moi. Je pense que cette publication est la plus belle récompense de son travail acharné pour rédiger cette histoire plaisante mais surtout prenant pour un peu que vous soyez cérébrale.

    1. a écrit :

      Merci Ker de m’avoir invitée dans votre calendrier de l’Avent, et merci à Aurora pour cette belle histoire !

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