Thérapie brêve

Je succombe aux sirènes de la Dark romance, à force d’en entendre parler : désespoir, violence, absence de consentement, montagne de muscles, torrents de larmes et de testostérone au programme…

***

Tant que son chéri se trouvait auprès d’elle dans la maison des vacances, ses démons restaient tapis dans les tréfonds de son âme, elle faisait bonne figure, occupée par les mille petits riens du quotidien qui font le plaisir de la vie en couple : bavarder, s’embrasser, se régaler de ses bons petits plats… Mais il était parti, c’était prévu ainsi, son travail l’appelait.
Elle se retrouvait seule, et ses démons se ruèrent hors de son inconscient, ils envahirent chaque cellule de son corps, enflammèrent ses nerfs, lui montèrent à la tête. Bientôt, elle souffrait le martyre, brûlant d’un feu que rien ne pouvait éteindre, à part une autre souffrance peut-être, physique celle-là, qui se rajouterait et surpasserait sa souffrance psychique.
Elle se scarifia un peu les bras, éprouvant un bref soulagement en sentant la coupure et à la vue du sang. Mais trop vite la douleur intérieure revint, foudroyante. Elle se tordait de douleur sur son lit, peinant à respirer, le cœur à vif, dans un étau, la tête menaçant d’éclater, la migraine battant entre ses tempes, remuant des idées indicibles… il lui faudrait se faire battre, violer, souffrir dans son corps pour espérer atténuer son chagrin qui la dévorait vive. Se sacrifier pour obtenir l’oubli, et, enfin, la rédemption.
Il n’y avait pas trente si mille solutions, elle devait trouver son bourreau, le convoquer, et le pousser à bout, qu’il la baise jusqu’à ce qu’à lui faire perdre connaissance, la maltraite, la frappe, et la laisse exsangue, évanouie, toute souffrance du cœur ensevelie sous les coups. Les brûlures de sa chair surpasseraient celles de son cœur, et elle trouverait la paix, enfin. Elle lècherait ses plaies, renaîtrait de ses cendres et pourrait se reconstruire. Mais d’abord, soulager son cœur oppressé, son ventre noué, son cerveau agité de pensées morbides sans jamais trouver le repos. Exorciser ses démons.
Cela la fatiguait d’avance de tchatter poliment sur des sites de rencontres, mais elle se voyait mal arpenter les parkings de supermarchés en quête d’un chauffeur de camion balèze ou traîner dans des bars louches ; et sans certitude d’aboutir en plus. Elle rassembla ses forces, et se créa un profil sur un site extraconjugal ; elle ne cherchait pas l’amour pour toujours, seulement un coup d’un soir. Des coups surtout. Du sexe brutal, elle consentait à tout.
Elle n’y alla pas par quatre chemins, tout en s’efforçant de ne pas effrayer le chaland. Elle écrivit sur sa fiche : « Seule ce soir, je recherche une aventure intense, avec un homme fort, n’hésitant pas à me démonter sans chichi »

   L’affaire fut compliquée, contre toute attente… Ils voulaient tous discuter longuement, lui plaire, commencer par boire un verre, voire dîner… Elle n’y arriverait jamais !
Elle accepta le premier qui voulut bien d’elle et qui soit libre pour venir tout de suite, sans passer par toute la carte du tendre de l’adultère : le fameux verre, le dîner… Elle ne prit même pas la peine de regarder ses photos. Tant mieux s’il ne lui plaisait pas, elle ne trouverait du répit que dans l’autodestruction et l’avilissement.
Quand elle lui ouvrit, elle marqua un temps, surprise. Un espèce de joueur de rugby baraqué se découpait dans l’encadrement de la porte. Il occupa d’emblée tout l’espace, solaire, une présence bon enfant qui ne lui convenait pas du tout. Elle faillit le renvoyer direct chez sa mère ; elle n’avait pas demandé un nounours ! Il ne lui laissa pas le temps de réagir, il l’enlaça avec un grand sourire et la serra, fort.
– C’est assez fort pour vous ?
Elle gigotait, tentant de se libérer de son étreinte.
– Mais lâche moi putain, je ne veux que du sexe ! Pas de câlins ! Me faire défoncer direct, c’est trop demander ?
Ses yeux lançaient des éclairs, elle bouillait, exaspérée de ne pas parvenir à ses fins. Quand allait-il se décider… ils savaient tous les deux pourquoi ils étaient là, elle s’était montrée suffisamment claire, à quoi bon tourner autour du pot ! Elle s’appuierait à la table de la cuisine et de quelques coups de reins, il lui remettrait les idées en place. Ensuite, elle se débarrasserait de lui, il n’avait visiblement pas l’étoffe de l’amant qu’elle appelait de ses vœux.
Il s’inquiéta – de toute évidence, elle ne rigolait pas. Il devait bandera sans tarder, avant d’être viré comme un malpropre. Mais quelque chose de désespéré dans sa voix le toucha, il ne lui obéit pas et la garda dans ses bras. Elle voulait un homme fort, il serait cet homme-là ! Il continua à la serrer très fort, il la sentait toute tendue, éperdue, malgré ses airs affranchis – c’était pas bon pour les jeux de l’amour, toute cette nervosité.
Elle se détendit d’un coup, et se rendit, manquant d’énergie pour lutter contre lui, et contre elle-même surtout. Quelque chose se rompit en elle, elle fondit en larmes. Des flots de larmes qui éteignirent l’incendie de son cœur et noyèrent sa peine. Elle s’en voulut, mécontente de s’apitoyer sur son sort et de s’épancher autant. Il fit les frais de sa frustration.
– Il n’y a pas moyen de se faire baiser à la fin ! Je ne veux pas être consolée !
Il ne se démonta pas, tranquille.
– Mais si… ça fait du bien, ça ira mieux ensuite… vous verrez, après la pluie, le beau temps comme on dit ! Après les larmes, la vie vous sourira à nouveau !
Elle renonça à se débattre, ses larmes se tarirent peu à peu. Elle renifla contre sa chemise, avant d’y frotter son nez comme une enfant. Il la souleva et la porta, explorant la maison jusqu’à découvrir sa chambre. Il l’allongea sur le lit et s’étendit à côté d’elle. Elle s’endormit, épuisée, la tête sur le poitrail de son inconnu. Lui veillait sur son souffle qui s’apaisait au fil des heures, la serrant toujours. Quand il sentit son sommeil devenir profond, il tenta de se dégager avec précaution de ses bras, mais elle s’agrippa à lui, avec une force étonnante pour une femme si frêle en apparence. Il renonça, il pouvait bien rester encore un peu. Il la pressa contre lui en retour. Demain serait un autre jour.

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