Un tableau admiré à l’Accademia de Venise m’a donné envie d’écrire une histoire fantastique, en retournant aux sources, la mythologie, et la force brute, la vaillance des héros de la guerre de troie.
Avec toute votre indulgence, je n’ai pas relu L’Iliade et l’Odyssée pour écrire ce billet, juste vérifié la filiation d’Ajax ; tout le reste n’est que fantasmes et bribes de souvenirs.
***
Sophie se perd dans la contemplation d’un tableau, ses souvenirs de collège remontent à la surface, bientôt remplacés par son imagination. C’est un héros de la guerre de Troie, Ajax, compagnon d’Ulysse et d’Achille. Il se tient fièrement, les bras musclés croisés sur un torse tout aussi musclé. Il rentre tout juste d’un combat, il n’a pas pris le temps d’enlever son casque, se contentant de le relever. Son regard est sombre, ombrageux, douloureux d’avoir vu tant d’atrocités sur le champ de bataille. Cette guerre qu’il abhorre fauche la fleur des royaumes, des jeunes princes promis à régner, et laisse des parents, des fiancées inconsolables. Il s’est lancé dans cette guerre par loyauté, à l’appel de son chef ; il doute à présent, cette querelle d’amour vaut-elle vraiment tant de désespoir ? Les dieux eux-mêmes ont choisi leur camp et se disputent, aussi bien sur l’Olympe, qu’à travers les héros qu’ils se sont choisis.
Tant de vie, d’ardeur dans ce regard, de force contenue, de désapprobation ravalée ! Sophie observe le guerrier jusqu’au vertige, attirée, aspirée ; elle peut presque sentir la chaleur de son corps, son odeur. Sa tête tourne, ses jambes menacent de céder, ne la portent plus. Soudain, une main saisit la sienne, la retient. Des bras puissants la soulèvent, l’emportent, Sophie sent un souffle chaud la ranimer, une voix profonde lui parler dans une langue inconnue… si familière pourtant. Sophie se concentre sur les sonorités, le rythme des phrases, et tout s’éclaire bientôt, elle en pleurerait de bonheur ! Du Grec ancien ! Par quel miracle a-t-elle voyagé dans le temps, que s’est-il passé ? Elle se retrouve dans le tableau, nue, les cheveux défaits, dans les bras d’Ajax… Elle doit rêver ; tout semble si réel pourtant, la chaleur des bras qui la tiennent fort, la voix grave qui la fait vibrer des pieds à la tête.
Elle réfléchira plus tard ; pour l’instant, s’imprégner des paroles de l’homme, s’efforcer de décrypter leur sens. Il a l’air décidé à l’aider, la protéger, son regard fier la couve avec bonté. Comme il est beau ! Sophie bénit ses études de lettres classiques, les heures passées à s’user les yeux sur des thèmes et des versions. Elle favorisait le latin, elle s’en mord les doigts à présent, son grec classique est tout rouillé. Elle doit se concentrer de toutes ses forces pour comprendre quelques mots de ce qu’il lui raconte. Elle rit et tremble tout à la fois ; comment imaginer un tel accent, il enchante cette langue austère qui lui a donné tant de fil à retordre. Une langue disparue et tellement vivante tout à la fois ! Elle parvient à saisir le sens général de ses propos :
— Vous vous sentez mieux ? Vous êtes Troyenne ?
Sophie se lance, dans un grec classique de cuisine.
— Je ne sais pas, je n’ai aucun souvenir…
Ajax éclate de rire, un rire tonitruant qui la fait sursauter.
— Par Zeus, tu n’es pas Troyenne, c’est certain, je n’ai jamais entendu un accent pareil, et pourtant j’ai voyagé sur toutes les mers ! Tu dois être une esclave barbare échappée, seules les esclaves ont des cheveux blonds, nos femmes ont les cheveux noirs comme les ailes des corbeaux. Ou tu nous es envoyée par les dieux, qui s’ennuient malgré cette guerre où l’on va s’entretuer pour eux, et ce n’est toujours pas assez, ils t’envoient, pour notre plaisir ou semer la zizanie ! Sache que je ne crains rien ni personne, sauf Hector, et je me rie des malédictions ! Je te prends comme ma petite esclave, après tout, Achille a bien sa Briséis, pourquoi n’aurais-je pas une captive moi aussi !
Il la porte toujours en lui parlant, ses grandes mains caressent son corps menu. Sophie frissonne, elle n’a pas tout compris, seulement qu’il la veut comme esclave. Terrible perspective, elle se met à trembler d’appréhension, excitée aussi, malgré elle.
— Ne crains rien petite esclave, je serai un maître juste, chasses tes peurs par Zeus, je veux que tu chantes et danses pour moi ! Je veux que tu me baignes, me masse, me délasse quand je rentrerai fourbu d’un combat… Te souviens-tu de ton prénom au moins ? Je suis Ajax, fils de Télamon, roi de Salamine !
Il pointe son torse du doigt pour être plus clair, et répète « Ajax ! », avant de poser un doigt entre ses seins.
— Et toi ?
— Sophia….
— Je t’emmène sous ma tente Sophia, je te présenterai plus tard à Agamemnon, Ulysse, Achille, qu’ils sachent que tu m’appartiennes et te laissent en paix. Personne ne pourra lever la main sur toi au risque de se prendre un coup de dague !
La petite barbare le regarde avec de grands yeux candides, visiblement, elle n’a strictement rien compris ; il va faire simple. Il la dépose sur le sol, et l’entraîne vivement, la tirant par le bras, toujours nue, vêtue de ses seuls cheveux, assez longs pour couvrir ses seins, mais guère plus. Ajax a pitié d’elle, il lui tend sa cape.
— Tiens, couvre-toi !
Sophie s’emmitoufle avec reconnaissance, troublée par l’odeur de fauve dégagée par la cape. Elle la respire discrètement tandis qu’Ajax la conduit sous sa tente, une tente vaste, luxueuse, équipée pour un long siège, avec toutes les commodités. Le siège de Troie n’en finit pas, bientôt dix années ! Il lui offre des fruits, du fromage, des galettes, du vin aussi pour colorer ses joues.
— Mange et bois ! Demain, c’est toi qui me serviras. Aujourd’hui, je vais prendre soin de toi, te redonner des forces.
Il ordonne qu’on fasse couler un bain chaud. Deux esclaves s’activent, apportent un baquet, le remplissent d’eau chaude, allument un feu… Ajax les congédie d’un geste.
— Laissez-nous.
Il veut être seul pour décrasser, parfumer sa petite esclave, l’observer sous toutes les coutures, la caresser, la fourrer, la baiser, profiter de ce cadeau des dieux, porte-bonheur ou cadeau empoisonné, il verra bien. Il se fait fort de lutter, même contre un dieu !
Sophie se laisse faire, partagée entre l’amusement et l’anxiété, curieuse aussi. Elle ne sait pas comment elle rentrera chez elle, au 21e siècle, elle se promet d’y réfléchir. Plus tard. Pour l’instant, elle décide de profiter de son séjour forcé pour progresser en grec ancien. Elle voudrait profiter aussi de ce guerrier ténébreux et farouche à qui elle semble plaire. Arrogant, brave, séduisant, héroïque, exotique, elle ne lui résistera pas !
Ajax la soulève sans effort et la plonge dans l’eau brûlante. Sophie réprime un cri, avant de se détendre. Il entreprend de la laver délicatement avec une éponge. Comment imaginer qu’un guerrier aussi vigoureux puisse faire preuve de tant de douceur ! Elle ferme les yeux, s’abandonne au désir qui l’envahit tout entière. Elle le désire de toutes ses forces, elle espère qu’il la veut ainsi aussi, pas simplement à son service. Pourvu qu’il n’aime pas que les garçons ! Sophie tente de se souvenir de ses lectures de jeunesse, L’Illiade et L’odyssée. Ajax n’aimait-il pas l’un de ses frères d’armes ? Ah non, c’était Achille qui était amoureux de Patrocle, mais Ajax s’était montré ému en combattant Hector, en raison de sa bravoure et de son sens de l’honneur si semblables au sien, par son corps huilé s’emboîtant parfaitement dans le sien aussi, glissant dangereusement au cours de la lutte à mains nues… leurs sexes également dressés se frôlant peut-être, mais rien n’a été écrit là-dessus dans les manuels d’histoire.
Sophie considère Ajax, son regard clair, son sourire, sa peau intacte sans traces de blessures ; la bataille n’a pas encore eu lieu, les Grecs campent devant Troie, bouillonnent à force d’inaction. Elle se souvient d’Ajax, presque aussi fort qu’Achille, presque aussi invincible, tout aussi vaillant, intrépide… et tellement beau en réalité !
Il la frictionne toujours, de plus en plus lentement, la caressant. Elle ne se méprend pas sur ses intentions, elle pose sa main sur son torse d’airain, le caresse, s’enhardit. Il ne réagit pas, l’ignore, décontenancé. Les esclaves ne sont pas ainsi d’habitude, elles tremblent, se défilent, se cachent, fuient. Celle-là, on dirait une nymphe en pleines bacchanales, pas farouche, souriante, effrontée, avide de plaisirs ! Elle l’énerve, l’agace de ses petites mains légères qui volettent sur sa peau dure. Il l’extirpe du bain et l’allonge toute mouillée sur sa couche avant de la tamponner tendrement avec une serviette pour la sécher. Il se débarrasse de sa tunique, et s’affiche, nu, superbe, l’érection triomphante. Sophia a la bouche sèche, elle se consume de désir, tend les mains vers lui. Ajax aurait voulu la forcer, faire sa conquête, mais elle est déjà toute molle et liquide. Elle ouvre les jambes, expose son sexe trempé, offrant un doux fourreau à son glaive de chair qui s’y plonge encore et encore avec délices. Ajax l’aime avec énergie, rage, fureur ; c’est la guerre, il peut mourir demain. Il la presse contre lui à la briser, déjà épris de sa petite esclave venue de nulle part.
Il jouit en grognant dans son cou ; Sophia sourit, en voilà un amant impatient ! Et elle alors ? Elle guide ses doigts vers son sexe, lui apprend à la caresser avec patience, douceur, longuement, jusqu’au plaisir. L’orgasme la foudroie ; elle jouit fort, affolée par ses doigts qui se font le plus léger possible, sa voix qui lui murmure des promesses d’éternité en Grec.
Elle s’apaise et s’endort le sourire aux lèvres pendant qu’Ajax file à son conseil de guerre. Elle se demande si elle va se réveiller au 21e siècle, ou rester dans l’antiquité. Elle s’attarderait bien un peu ; elle veut l’aimer encore, panser ses plaies, être à ses côtés, changer le cours de l’histoire peut-être, lui éviter le sort funeste qui l’attend, même si elle ne s’en souvient plus très bien, tout se mélange dans ses souvenirs. A la réflexion, Sophia ne se souvient plus de grand-chose, sa vie passée s’evanouit dans les brumes, il lui semble qu’elle a toujours vécu là, au service d’Ajax. Elle s’endort, bercée par Morphée, sous le regard bienveillant d’Aphrodite. La déesse félicite son fils bien-aimé, sa flèche s’est envolée au-delà de l’espace et du temps !
***
Sophie reprend ses esprits difficilement, où se trouve-t-elle, où est Ajax, elle veut le voir ! Elle a besoin de lui, elle ne se sent pas bien. Des bribes de souvenirs confus surgissent en désordre dans sa mémoire : leurs étreintes passionnées, le vacarme des combats, chocs des boucliers, cris de douleurs, leurs baisers enflammés, la boue, le sang, la sueur et les larmes, les offrandes, les rivalités, les sacrifices, leur amour dévorant plus fort que tout, au-delà des querelles des hommes et des dieux…
Des mois à ses côtés, dans les bons comme les mauvais moments, à l’admirer, le consoler, le vénérer, l’adorer, le servir, dans l’oppressante attente avant l’assaut, dans la sauvagerie de la guerre…
Il n’est plus là, le manque lui tord le ventre. Elle est revenue dans son époque, elle consulte son téléphone pour en avoir le coeur net : 30 octobre 2018. Elle n’a fermé les yeux qu’un instant, ces longs mois auprès d’Ajax ne sont plus, n’ont jamais été. Il est de nouveau figé pour toujours dans un cadre doré. Elle s’en approche à le toucher, espérant qu’il l’appelle, l’attire à nouveau auprès de lui… mais une sonnerie retentit, un gardien surgit ; elle s’est approchée trop près, on la prie de reculer. Sophie s’exécute, le cœur en cendres, elle se demande si son double a toujours la chance de se blottir dans ses bras, ou si Ajax est seul lui aussi, à des centaines d’années de distance. Elle se sent seule, désespérément seule.
Enfin, pas si seule que ça après tout, son ventre vient de tressaillir…
Sophie sourit, elle ne sera plus jamais seule, car elle va enfanter un héros.
Le fameux tableau : Giovanni de Min – 1778
Photos du film Troie
4 commentaires
On vous reconnait bien ici : c’est Sophie l’esclave, mais c’est Ajax qui la lave, la frictionne et la cajole, un Ajax « soumis » ? . N’y voyais pas une critique, votre texte est superbe, comme d’habitude
Merci Léo ! Je ne trouve pas que cela soit un signe de soumission, au contraire. Ajax s’occupe de son jouet, de sa poupée, l’infantilise en prenant soin d’elle comme une enfant, avant de la posséder comme sa soumise. Enfin, c’est son intention au départ, car finalement, au lit, elle n’est pas si soumise que ça et finalement, l’esclavage sera une « couverture » pour rester à ses côtés, sous sa tente, et source de jeux amoureux… (mais j’élucubre !)
Merci Laurent !
Superbe histoire , bien imaginé..