Je termine ma saga de l’été sur les fantasmes de nos vacances et les plages biarrotes – il est plus que temps, le froid semble s’installer pour de bon…
Donc, après le moniteur de surf, le biker, voici une autre grande figure de nos vacances à la mer : le maître-nageur sauveteur, qui veille et nous protège pendant que nous barbotons, insouciants, inconscients des dangers qui nous menacent…
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Elle déplia sa serviette de plage, plus près d’eux encore que la veille. Chaque jour, elle gagnait du terrain, elle voulait le voir mieux, lui, ce maître-nageur beau comme un acteur de série américaine. Elle avait bien conscience du cliché : le maître-nageur musclé et bronzé, admiré par la petite parisienne à lunettes, pâle et peu sportive. On pourrait d’ailleurs transposer le même cliché à la neige, avec un moniteur de ski. Sauf que là, ils étaient tous à demi nus sous les rayons ardents du soleil, ça finissait par lui donner des envies. Le soleil lui tapait sur la tête, elle n’avait plus les idées très claires, les fantasmes s’enchaînaient dans ses pensées : eux, roulant ensemble dans les vagues, sur le sable, et puis dans un lit… Sa bouche salée sur la sienne, son corps mouillé contre le sien, tout moite de désir et de chaleur… Elle se collerait à lui, lécherait le goût de la mer sur sa peau, le cou d’abord, son torse, son ventre, son sexe enfin, toujours invisible malgré ses efforts pour le distinguer sous le maillot. Elle l’engloutirait, se délectant de sa fraîcheur, de son goût de sel ; elle le sucerait comme un esquimau glacé, jusqu’à ce qu’il soit à point pour son coquillage tout aussi iodé par sa marée naturelle, l’océan n’y était pour rien cette fois.
Elle bouillait, n’y tenait plus, le désir la rendait dingue ! Il fallait absolument qu’elle fasse quelque chose, n’importe quoi, au lieu de se consumer toute seule sur sa serviette. A la fin des vacances, il n’y aurait plus qu’un tas de cendres, elle aurait brûlé en vain, sans même qu’il ne soupçonne sa présence ! Elle échafauda un plan, compliqué, risqué, mais sur le moment il lui sembla excellent, une évidence, et elle se mit en tête de le réaliser dès le lendemain. Elle allait faire semblant de se noyer, et il viendrait la sauver, voilà, c’était aussi simple que ça…
Le lendemain, elle ne s’attarda pas sur sa serviette, elle courut directement vers le rivage. Surtout ne pas réfléchir, il était plus que temps de passer à l’action ! Elle entra dans l’eau sans frémir, se mit à nager avec détermination, franchit les premières vagues, à l’écart du drapeau bleu marquant la limite de la baignade autorisée. Elle resta sourde aux coups de sifflets, ignora la corne de brume qui tentaient de la ramener dans le droit chemin. Elle voulait dépasser les bornes, qu’il soit obligé de venir, lui, la sauver des eaux.
Il la ranimerait d’un long bouche à bouche, malaxerait ses seins à pleines mains en guise de massage cardiaque, et elle ouvrirait les yeux, telle la princesse des contes de fées. Leurs regards se croiseraient, il tomberait amoureux d’elle, instantanément. C’est connu, on aime ce que l’on sauve, que ce soit un chaton, une jeune fille… Il ne pourrait pas lutter… Ils étaient au moins cinq ou six maîtres nageurs à surveiller cette immense plage, mais de longues heures à surveiller leurs allées et venues lui avaient appris qu’il était toujours le premier à bondir en cas de danger et plonger dans les flots. Ce serait lui qui viendrait à son secours, elle n’avait aucun doute là-dessus.
Elle était vraiment la fille la plus stupide que la terre n’ait jamais portée, elle allait mourir là, bêtement, se noyer pour de bon en ayant voulu faire semblant, pour les beaux yeux d’un maître-nageur qu’elle ne reverrait plus. Elle pourrait être tranquillement sur le sable à l’heure qu’il est, au lieu de se débattre dans une eau de plus en plus froide. Elle se serait contentée d’attendre la fin de son service, il aurait suffi de l’aborder, d’oser lui adresser la parole, lui poser une question sur les courants, la météo, l’âge du capitaine, n’importe quoi… Non, il avait fallu qu’elle invente cette mise en scène stupide ! Sur le moment, ça lui avait semblé une bonne idée, mais à présent, des larmes de désespoir montaient dans ses yeux. Elle se fatiguait à nager si loin, elle luttait contre les vagues, buvait la tasse, ses yeux piquaient sous l’effet du sel. Elle avait à peine le temps de reprendre sa respiration qu’une nouvelle vague la submergeait, l’eau se ruait dans ses narines, sa bouche, ses yeux ; elle étouffait. Bientôt, elle ne pourrait plus lutter, les vagues se lançaient à son assaut encore et encore, indifférentes à sa détresse. Elle agita les bras, cria, dans une tentative désespérée d’appeler au secours ; l’avaient-ils seulement repérée ! Elle se sentit couler, elle sombra dans l’inconscience.
Un bras solide s’empara de sa taille, elle fut plaquée contre un corps musclé et ramenée jusqu’au sable manu militari. Son maître-nageur était venu ! Elle reprit conscience peu à peu en raison d’une douleur insupportable ; ses côtes thoraciques se fêlaient sous l’effet d’un vigoureux massage cardiaque. Elle hoqueta, rendit des litres d’eau de mer, par le nez, la bouche, sans cesser de sangloter. Pour le romantisme, on repassera ! Elle s’affala à nouveau sur le sable, trop faible pour jouer les belles noyées, seulement occupée à reprendre son souffle, à vivre. Rien n’était plus délicieux au monde que ces gorgées d’air frais qu’elle inspirait et qui chassaient l’eau salée brûlant ses poumons. On tapotait ses joues, on l’interpellait… Pourquoi ne la laissait-on pas tranquille, elle voulait dormir, elle se laissa couler à nouveau.
Elle ouvrit péniblement les yeux sous l’effet d’une gifle plus énergique, elle reconnut son maître-nageur, son sauveur, et tenta de lui sourire. Son sourire s’éteignit bientôt, il la grondait, furieux de son imprudence.
— Qu’est ce qui vous a pris de vous éloigner à ce point ! Vous êtes complètement fada ! Les drapeaux, on ne les pose pas au hasard, il y a des courants terribles qui vous entraînent au large, pile là où vous étiez ! Encore quelques minutes et c’était votre cadavre que je ramenais… vous n’avez pas entendu nos coups de sifflet ?
Elle frissonna, glacée, et ce n’était plus seulement en raison de son long séjour dans l’eau. Son accent… Il avait vraiment le pire accent du sud qu’elle n’ait jamais entendu de sa vie ! Ce n’était pas la douce mélodie du pays Basque, c’était l’accent chantant de la méditerranée. Son coup de cœur s’assécha immédiatement, elle voulait juste rassembler ce qui lui restait de dignité et rentrer se pelotonner sous une couverture avec une tasse de thé. Il vociférait toujours, d’un ton vindicatif de parent indigné, elle aurait voulu se boucher les oreilles, disparaître dans un trou de souris. Elle murmura un merci inaudible, et s’en alla, chancelante.
Le maître-nageur la suivit du regard, peu rassuré, elle n’avait pas l’air d’aplomb la gamine. Il fut stupéfait de la voir s’effondrer sur la serviette juste derrière leur poste de surveillance. Au moins, il pourrait garder un œil sur elle si elle s’évanouissait encore, elle avait l’air d’être seule. Il la regarda mieux, elle était mignonne comme tout cette petite en fait… Une fois coiffée, dessalée, avec quelques couleurs sur les joues, elle serait peut-être même sexy, qui sait !
Il attendit la fin de son service pour lui parler, elle gisait toujours sur sa serviette juste derrière eux.
— ça va mademoiselle, vous êtes remise ? Je peux vous offrir un café pour me faire pardonner de m’être mis en colère ? C’est que vous m’avez fait peur, pardi !
Elle soupira. Dire que cela faisait trois semaines qu’elle en rêvait de ce café avec lui… elle en avait attrapé des coups de soleil en s’attardant des heures derrière leur échelle ! Elle avait même failli mourir pour ça… Cet accent gâchait tout décidément, l’envie était passée. Elle répondit de son accent pointu de parisienne.
— Je dois rentrer, merci, une autre fois peut-être !
Ces parisiennes, quelles ingrates ! Pour la reconnaissance, il pouvait toujours attendre ! Putain, il lui avait sauvé la vie et il se prenait un râteau ! Il avait du mal à y croire… Qu’est-ce qu’il fallait faire pour leur arracher un rendez-vous ! Déclamer des vers ? Leur offrir une rivière de diamants ? Vendre son âme ?
Dégoutté, il rejoignit ses potes accoudés au comptoir de leur bar habituel, c’était bientôt l’heure de l’apéro. Il fut accueilli par des grognements enthousiastes et des bourrades viriles.
— V’là notre héros ! Une petite bière pour te changer de l’eau salée ?
Il trinqua de bon coeur, retrouvant le sourire, réchauffé par l’alcool et l’amitié brute, sans chichis.
Font vraiment chier les gonzesses, tout serait tellement plus simple s’il préférait les garçons !
Je voulais écrire une mini romance à l’eau de rose, mais elle tourna finalement en eau de boudin…
C’est pas gagné pour écrire des romances !
Photos : La grande plage (Biarritz)
11 commentaires
Bad girl classique:
tu la sauves, elle te remercie pas…
Clarissa ¿tu vas aider Dionysos à compter les notes?
pour aujourd’hui, c’est plié, certes, mais elle va revenir demain, poser sa serviette au même endroit et….
Il lui offrira une glace, elle aime tellement lécher une glace alors qu’il fait très chaud, qu’elle en oubliera son accent !
Ahahah ! J’adore !
Merci Julie ! 😊
Je suis d’accord pour le rire, mais il va falloir qu’il s’y emploie sans trop ouvrir la bouche, ou alors avec des talents d’imitateur…
Tout le monde mérite une seconde chance surtout qu’elle a agit sans mauvaises intentions, mais il faudrait trouver comment elle pourrait surmonter la mauvaise impression de son accent…
Il va la faire rire…. aucune femme ne résiste à un fou rire ! ou la sauver une seconde fois, n’ayons peur de rien, mais sans que ce soit prémédité cette fois !
Et merci pour votre compliment, toujours si encourageant !
Vous pensez que ce texte peut avoir une suite ? Une demoiselle aussi dédaigneuse, inconséquente, futile mérite une seconde chance ? (perso, la parisienne que je suis adore la province ! et les accents qui chantent !)
En eau de boudin? La province et Paris seraient-ils à ce point irréconciliables ? J’imagine que l’été n’est pas fini et que la suite sera beaucoup plus sensuelle…le fameux esprit français titille tout l’Hexagone, non?
(et bravo pour le texte, c’est un plaisir comme d’habitude…