La passe imaginaire, de Grisélidis Réal

2021-06-29 19

   Je viens de terminer La passe imaginaire, de Grisélidis Réal, qui rassemble ses lettres envoyées à son ami journaliste Jean-Luc Hennig dans les années 80 — il a écrit sa biographie. Il n’y a que ses lettres, les réponses de son ami ne figurent pas. D’ailleurs, de son propre aveu, il écrit très peu, il lui envoie des cadeaux : des livres, des cigarettes…

   Grisédilis Réal est une prostituée suisse, très engagée dans le combat contre l’abolitionnisme dont elle est une figure en vue. Elle raconte surtout les tracasseries que celui lui donne : participer à des conférences internationales, faire des tonnes de photocopies et des interviews avec des étudiantes et des journalistes, dépenser son argent durement gagné… Elle râle, mais s’engage et travaille sans compter son temps, généreuse et enthousiasmée par cette cause.
   Elle décrit également son quotidien de prostituée : ses clients, leurs bizarreries, leurs difficultés à « aboutir », à travers des scènes d’anthologie, à la fois drôles et désespérantes. Ainsi, elle se plaint beaucoup de « ses Turcs » qui ont l’étrange habitude de se raser les bourses, ça repousse dru et piquant, et elle en est tout éraflée à un endroit sensible.  Elle fait preuve d’autodérision en permanence, et on s’attache à elle, en se demandant sans cesse pourquoi elle s’inflige tout ça ! Elle lit beaucoup, et peint aussi.
   En fait, elle adore et déteste tout à la fois ses clients et son métier. Elle le revendique avec fierté et l’exerce avec un cœur d’or, pleine d’empathie et de compassion pour ses clients, tout en sachant se défendre afin d’éviter les abus.
   Ses clients sont le plus souvent d’origine très modeste, des immigrés pour la plupart venus seuls pour travailler comme ouvriers, et donc privés de douceur féminine. Ils ne se montrent pas tendres pour autant, ils sont même souvent violents, mais elle sait les remettre à leur place. Elle reconnaît qu’ils travaillent aussi dur qu’elle, alors elle pense à sa future maison, à son futur jardin, dont elle gagne chaque pierre « arabe par arabe», (ce n’est pas raciste dans sa bouche, elle aime leur musique, même si elle se revendique plutôt Tsigane)
    C’est aussi un ouvrage très intéressant à titre historique. Il est publié en 2006, mais rassemble des lettres écrites entre 1980 et 1991 (Grisélidis Réal a de 50 à 60 ans, et déborde toujours d’énergie). Le Sida démarre tout juste, je suis stupéfaite qu’elle ne se protège pas. Pourtant, elle doit courir régulièrement chez le gynécologue pour se faire soigner diverses mycoses ou infections qui s’enchaînent. Elle explique que ses clients sont très souvent ivres, et le préservatif ajoute à leurs problèmes d’érection, ce qui rallonge d’autant la séance ! Elle revendique aussi le peau à peau, le mélange des sucs et des fluides, et jette aux orties tout « hygiénisme », ce qui donne lieu à des passages savoureux, goûteux, même si l’avenir ne lui donnera pas raison.

    Un livre écrit avec un bagout, un franc-parler irrésistibles auxquels j’ai tout de suite accroché ; un style très imagé, poétique parfois, toujours spontané, et plein d’humour. Je l’ai terminé à regret, comme si je perdais contact avec une amie qui m’était devenue chère et qui soudain ne m’écrivait plus.
    Le livre se termine de façon assez abrupte, sur une dernière lettre où elle confie son fantasme à son ami, une belle cérémonie BDSM. C’est le seul reproche que je lui fais : on ne sait pas si la correspondance s’interrompt ni pourquoi, ou si elle se poursuit, en dehors du livre. J’aurais aimé un épilogue, écrit de la main de l’ami, pour qu’il nous en dise plus, mais il a simplement rédigé la préface.

   J’avais mis plein de marques pages pour relire des extraits et vous en photographier quelques-uns, mais ils sont tous tombés. J’en ai choisi trois, un peu au hasard :

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