Réminiscences

Maison hantée 2
    J’en ai sûrement déjà parlé, c’est le « marronnier » de la rentrée : la malédiction des maisons de vacances, ou passer l’été dans une maison hantée !
   Bien sûr, je mesure la chance d’avoir une maison de famille qui m’attend, été après été, ce qui ne m’empêche pas de me plaindre quand même… Ouvrir la maison, c’est tout un combat à chaque fois ! Il faut réparer le chauffe-eau, lutter contre les fourmis qui se sont installées, dégripper les serrures, se rappeler du fonctionnement du four capricieux… Il y a toujours quelque chose de bancal, qui s’est cassé, qui s’est gâté ; l’humidité due aux hivers pluvieux s’est installée partout et gagne du terrain année après année. Bientôt, la maison inhabitée ressemblera aux photos urbex dans lesquelles je me perds parfois.
   La maison reste figée dans le temps, elle ne sert plus qu’aux vacances depuis des années. Elle est bourrée du sol au plafond de vieux livres, de vêtements démodés, de bibelots ébréchés, de vaisselle inutile, de photos à demi-effacées… Toute une accumulation au fil des ans, personne n’ayant le courage de trier et ranger ; il y a tant à faire dehors : les plaisirs de la plage, les terrasses de café, les glaces à lécher…
    Et puis passer ses vacances dans sa maison de famille, c’est vivre au milieu des fantômes du passé. Les souvenirs remontent comme des cadavres du fond d’un lac, ils flottent à la lisière de la conscience. Ils affluent, en un flot continu, ils se superposent au moment présent et s’imposent sans qu’on les invoque. Qu’ils soient récents ou bien plus anciens, ils se ruent à tout moment dans mes pensées et obscurcissent ma vision du réel, comme des hallucinations qui s’incrustent au premier plan. La réalité s’enfonce dans le brouillard, je perds le fil des conversations en cours, je revis des moments disparus.
    Je dois régulièrement les chasser, lutter contre la nostalgie, l’oppression, le vertige du temps qui file à toute allure. Les souvenirs doux-amers de l’enfance sont les pires, ils plantent loin leurs griffes dans mon cœur, impossible de les arracher comme des mauvaises herbes, ils reviennent toujours — On ne se remet pas de son enfance, même d’une enfance heureuse.
    Et s’il n’y avait que la maison, il me suffirait de sortir pour m’extraire de l’attraction des souvenirs ! Mais la ville entière est un cimetière de souvenirs qui remontent à la surface sur mon passage au fur et à mesure de mes promenades et se mélangent : joies d’enfant, émois d’adolescente, amants de passage, souvenirs de l’été dernier, boutiques disparues remplacées par d’autres… Je n’ai plus qu’à m’activer, me fabriquer de nouveaux souvenirs pour oublier le passé, même s’ils viendront me hanter l’année prochaine !
    Ne pas avoir d’attaches, changer chaque été de destination, de repères, poser sa valise dans des hôtels impersonnels, découvrir de nouvelles contrées… j’en rêve, je suis souvent tentée, mais la maison de famille m’appelle chaque été, un appel lancinant, irrésistible. J’ai toujours aimé les histoires de maisons hantées par de gentils fantômes, alors je veux bien qu’ils m’attrapent, me serrent dans leurs bras invisibles, et cherchent à me retenir dans les filets du passé.

    Photo : Série The Hauting of ill house

2 commentaires

  1. Clarissa a écrit :

    Merci pour ce retour ! Je vous comprends tellement, se séparer de nos maisons de famille, c’est se détacher d’une part de son passé, de son enfance… On s’allège ensuite, mais on a perdu nos racines…

  2. fvandenesse a écrit :

    Beau texte. J’éprouve le même attachement pour ma propre maison de famille située sur une petite île que je ne peux me résoudre à vendre…

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