Carnets de neige publiés au jour le jour sur Facebook pendant mes vacances :
Le ski, un plaisir d’homo oeconomicus rationnel
Cinq heures de voyage, une heure de virages en bus, et puis s’entasser dans une chambre minuscule,
s’harnacher comme pour un trek en Laponie, faire la queue devant l’ascenseur du club – c’est l’heure de pointe -, la queue au local technique – surtout sourire de toutes ses dents, on reviendra tous les jours changer les chaussures trop larges, le casque trop serré, les bâtons trop petits – pousser des han de bûcheron pour attacher ses chaussures,
s’engouffrer dans le téléphérique qui ressemble comme deux gouttes d’eau au métro avec sa barre de métal au milieu, s’insérer dans le trafic dense de la piste entre les écoles de ski à la queue leu leu, les snowboards aux trajectoires erratiques, les grands débutants qui évoluent le plus horizontalement possible, en longues traversées, insouciant de couper la route à tous, trop préoccupés de la bosse suivante,
s’appliquer à adopter la trajectoire la plus régulière possible pour ne pas surprendre ceux qui aiment faire des queues de poissons à 300 km/h, calculer les schuss au poil pour ne pas ramer au bout, s’agglutiner dans les queues des télésièges, se prendre le vent glacé dans les yeux, pleurer, se cramer le nez, éviter les plaques de verglas,
rester tout sourires pour l’homme qui porte les skis, fait le gps, trouve les télésièges sans attente et les pistes rien que pour nous aux confins de la station (avec panneaux : pensez au retour des 15h),
Le lendemain se réveiller toute courbaturée, n’avoir qu’une hâte, recommencer !
Mais : toutes ces galères sont compensées et bien au-delà par l’ivresse et le bonheur de la glisse, l’une des sensations les plus merveilleuses qui soit au monde !
Négociations et superstitions, ou De l’importance des noms des pistes
Lui, plein d’espoir :
– On fait la Bossue ?
– Ça me tente moyen… J’ai pas manœuvré comme une folle pour aller à La Pla-gne, pour me retrouver ensuite sur la Pentue ou la Rochue ! Je propose la Replat..
– On va ramer avec un nom pareil, l’Ecartée plutôt ?
– Pourquoi pas l’Ecartelée tant qu’on y est !
– Et la Mortbleue, ça doit être une bleue non ?
– Avec « mort » dedans ? Je le sens pas trop…
– Bon, ben sur ce secteur, il n’y a plus que les Lutins, la verte réservée aux Piou Piou, ça devrait aller non ? Alors, heureuse ?
– Ouais 🙄
😀😎
Les comédies romantiques qui se passent au ski nous mentent !
– quand on se télescope entre skieurs, c’est rarement love at first sight, mais plutôt échanges d’excuses piteuses et de noms d’oiseaux,
– mes voisins de télésiège ont moins de dix ans ou parlent des langues inconnues,
– mon moniteur de ski n’est pas un beau gosse bronzé au sourire carnassier, mais un espèce de pirate cramé et buriné, qui m’aboie dessus un vieux mégot au coin du bec « allez, on attaque la pente, plie les genoux, mais plie ! »
Tous mes espoirs reposent sur le barman, qui agite les cocktails avec enthousiasme et un grand sourire… 😋
Exercices de télésiège, ou petits défis entre amis : réussir les acrobaties suivantes, sans laisser tomber ni bâtons, ni moufle, ni téléphone portable :
– se moucher,
– se tartiner de crème solaire,
– manger une barre chocolatée,
– troquer le masque contre les lunettes de soleil
Exercices niveau 2 :
– enlever une moufle, la tenir entre les dents, sortir son téléphone, prendre des photos du paysage, des selfies…
Exercice niveau 24, spécial écrivaine frénétique :
– écrire des « brèves de télésiège » sur son téléphone,
– les poster sur Facebook – mais une fois rentrée au club, car les poster en direct live, c’est au moins niveau 100 !
(Un point de bonus pour celles qui doivent en plus gérer un compagnon sujet au vertige et frôlant la panique à chaque voyage)
Toujours plus haut !
L’homme prend les choses en main :
– Alors on va prendre ce télésiège, et puis celui là-bas, tu vois, il est tout près…
Enfin on arrive, les skis me démangent, je veux descendre des pistes ! Je trépigne !
– Oh regarde, il n’y a personne aux œufs, ça vaut le coup de les prendre !
Je me laisse convaincre, mais une fois en haut :
– Tiens, ce télésiège juste là, on l’a jamais pris encore… allez, encore un autre, il y a un peu de queue, mais après on va profiter à fond ! Un dernier tire fesse pour la route, on devrait avoir une belle vue de l’autre côté… Comment ça c’est déjà l’heure de rentrer… Quoi ! On a raté le dernier télésiège de 16h25 ? Tu as des sous pour un taxi ? Non ? Bon, on va tenter de trouver la navette, la nuit tombe déjà…
– Tiens, les œufs tournent encore pour le ski de nuit, on y va, histoire de skier un peu quand même ?
Loup y es-tu ?
Sur le télésiège, je me retrouve à côté d’un petit garçon d’environ 8 ans, il me parle d’égal à égal, comme s’il était un adulte lui aussi – trop mignon. Il m‘explique très sérieusement qu’il a vu un loup tout à l’heure en prenant ce même télésiège, et qu’on devrait le revoir bientôt, sûrement, il faut ouvrir l’œil.
– Ce n’est pas possible, les loups ne se promèneraient pas en plein jour, dans une station de ski en plus, bruyante et animée…
– Si, si, je vous assure, je l’ai vu ! Et on va le revoir !
Je suis ébranlée, il a l’air si convaincu ! Après tout, les loups sont arrivés en France, et le parc de la Vanoise n’est pas loin… et ces traces-là dans la neige, c’est peut-être des pattes de loups ?
– On va bientôt le voir, dans quelques secondes…
– Oh, tu sais, il a dû bouger entre temps…
Malgré moi, je scrute les sous-bois fébrilement.
– Il est là, regardez !!
Il pointe du doigt une jolie statue en bois représentant un louveteau aux aguets dans une petite caverne. Il rit, très fier de son petit effet ! Il me fait rire, il m’a bien eue ce petit garçon, je commençais à y croire moi à son histoire de loups… Si l’on n’était pas sur un télésiège, je le chatouillerais pour me venger d’avoir été jouée !
Mon premier champ de bosses !
Alors le truc c’est de bien choisir sa bosse pour tourner, et ça passe tout seul !
Bon, pas celle-là, elle est trop haute, pas celle-là non plus, il y a un rocher qui affleure… la suivante est verglacée, celle-là… ah trop tard, je l’ai ratée, je vais trop vite, celle-ci est déjà prise par un skieur… Oh cool, il n’y a plus de bosses… bon, il n’y a plus de piste non plus…
Destins croisés
Il y a de l’ambiance sur le télésiège, je voyage avec trois jeunes qui fument des joints, mmm, ils embaument toute la remontée !
Bizarrement, ils me font la causette du haut de leurs vingt ans. Eux viennent d’arriver, c’est même leur première remontée, ils se réjouissent des vacances qui les attendent, leur enthousiasme est communicatif…
– Et vous ?
– Ben moi, c’est ma dernière remontée, je rentre, et je rends les skis…
Petit moment de flottement et d’étrange déception de part et d’autre, mon voisin est sur le point de me proposer un joint pour me consoler, mais trop tard, il faut se lever, se séparer. Ils filent à gauche, loin, vers les Arcs, je pars à droite, direction la Plagne Centre, puis la gare d’Aime La Plagne, la gare de Lyon, et Paris.
Voilà, c’est fini, je suis inconsolable ! Je devrais me réjouir de rentrer indemne, sans avoir sacrifié mes ligaments au dieu du ski, me réjouir de retrouver mon ordinateur, mes amis, mes projets d’écriture, mon soumis – qui va avoir du taf en massage de mollets -, les fêtes et toutes les activités chères à mon cœur… mais je reste mélancolique et déjà nostalgique… Je le sais bien pourtant que les amours de vacances n’ont qu’un temps, finissent mal, surtout quand l’amour en question est une montagne immaculée avec de belles courbes et ce qu’il faut là où il faut de pistes et de remontées pour les parcourir avec extase de mes skis pointus.
#laplagnemonamour
#seeyounextyearbaby