Les patientes, d’Hugo Trauer

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   Je viens de lire Les patientes, d’Hugo Trauer, un livre de 2004 paru aux Editions Blanche. Il m’a été recommandé par une amie, que je remercie vivement au passage, car il m’a passionnée !
   Le masochisme, ce goût pour la douleur, l’humiliation, me fascine, depuis que j’ai lu très (trop ?) jeune Histoire d’O. Depuis, je lis régulièrement des livres BDSM, pour tenter de comprendre les ressorts, les motivations, les ressentis des soumis ou soumises et de leurs maîtres ou maîtresses : Histoire d’O, Le lien, les livres d’Eva Delambre…

   En soirée, je croise parfois des masochistes, ils puisent dans la douleur des sources de plaisir, en la transcendant grâce au pouvoir des endorphines ; ils ne sont pas forcément soumis. Sous l’effet de la douleur, ils voyagent et atteignent le fameux « subpace », cette sorte de transe qu’ils aiment et recherchent.
   Les masochistes qui sont aussi soumis aiment se livrer entre les mains d’une dominatrice, éprouver de délicieux tourments en étant délicatement torturés. Dans le cadre d’une relation D/s, le soumis s’en remet à sa maîtresse, il lui prouve sa vénération en lui faisant don de son corps, il s’offre, accepte ses marques avec jubilation…
   Les masochistes apprécient une douleur progressive, allant crescendo, plus ou moins théâtralisée dans le cadre d’une cérémonie mystique, avec de la musique, des bougies… Aucun masochiste ne prend son pied en se foulant la cheville ou en se cognant au coin de la table ! La douleur doit être attendue, espérée, répondre à une envie, un besoin, un manque.

   Les patientes rassemble les notes d’un psychanalyste après son décès : plusieurs témoignages de femmes, toutes soumises et masochistes.
   Elles se situent sur un tout autre registre que les masochistes que je croise en soirée, car même si elles éprouvent éventuellement du plaisir elles aussi en souffrant, elles ont besoin de cette douleur car elle soulage leur culpabilité, et apaise leur douleur intérieure, une plaie qui ne cicatrise pas. Elles vont loin, très loin, s’avilissent et éprouvent des souffrances hors normes, autodestructrices, répétitives, fréquentes, avec des hommes parfois brutaux, d’une intelligence moindre (j’ai pensé au livre Le lien), qu’elles manipulent l’air de rien pour obtenir la souffrance salvatrice.
   Soupçonnant que quelque chose ne va pas, elles consultent un psy et lui confient leurs pratiques, parfois avec une certaine complaisance, car évoquer leurs séances les leur fait revivre, le psy est en quelque sorte « instrumentalisé ».

   Hugo Trauer a développé une sorte de « spécialité » sur le masochisme, il s’occupe des patients qui lui envoie une mystérieuse collègue. Malgré son professionnalisme, il ne reste pas toujours indifférent.
   Ses patientes repartent souvent avec l’explication de leur « perversion » : le plus souvent c’est lié au père ; un père qui les battait ou les a quitté, un père aimé quand même, envers ou contre tout. Ou bien c’est lié à une mère jalouse, parfois à un enfant, ou un frère… La « faute » peut aussi traverser les générations : on expie la faute d’une mère, d’une grand-mère…
   Une culpabilité qui n’a pas lieu d’être les ronge et les pousse malgré elles à rechercher une forme de maltraitance (être battue, forcée…), une punition pour leur « faute », qui va soulager ce sentiment de culpabilité et aussi les faire jouir. Cette « faute » fondatrice qui les conduit vers le SM est souvent cachée par l’inconscient, qui fabrique même des explications cohérentes parfois, des explications « écran », et tout le travail du psy c’est de creuser encore, jusqu’à la vraie raison.
   C’est intéressant de suivre le travail du psy, ses raisonnements : parfois, il devine que les récits de ses patientes sont inventés, fantasmés, mais ce n’est pas grave, cela fait partie du « matériel » à utiliser pour les aider. Il travaille beaucoup sur les jeux de mots, les mots à double sens ; j’ai beaucoup aimé !
   Ses patientes repartent en comprenant les raisons de leur goût pour le SM extrême, mais cela ne met pas forcément fin à la culpabilité. Le psy parle d’une « dissociation » entre la partie raisonnable de leur être, celle qui veut « guérir », et la partie « maudite » de leur être, qui résiste. Deux intelligences s’affrontent. Et même si elles ont conscience des causes de leurs excès, souvent même plus rapidement que d’autres patientes, elles développent une forte résistance à la thérapie. Elles continuent donc leurs pratiques, pour leur épanouissement, en toute connaissance de cause, en allant parfois trop loin, et cela peut mal se terminer.
   Elles recherchent un maître sadique à la hauteur de leurs attentes. S’il est au moins aussi intelligent qu’elles, cela peut leur faire du bien, comme une séance de psy « intensive », sinon, on se retrouve dans un shéma inverse. C’est la soumise qui manipule « le maître » et l’emmène où elle le souhaite, souvent trop loin. Ainsi le témoignage autour du contrat, rédigé par « la soumise » elle-même : elle instrumentalise son maître, et détaille ses obligations dans le contrat ; c’est le monde à l’envers. (Le psy n’a pas grande estime pour les maîtres et les sadiques, voir les extraits pris en photos, certains m’ont fait sourire !)

   Le livre a été écrit en 2003, il décrit un SM dur, sans concession ; 50 nuances de Grey n’était pas encore passé par là. ! Certes les femmes qui témoignent sont toutes consentantes au départ, mais il me semble que lors de certains dérapages, le consentement n’est plus forcément évident.
   Aujourd’hui, on ne considère plus un consentement initial acquis pour toujours, on vérifie ce consentement au fil de la séance. Et les maitres sont bienveillants, attentifs au bien-être de leur soumise, connectés à elles, les empêchant d’aller trop loin. La pratique du BDSM est plus « joueuse» à présent, tournée vers le plaisir et l’épanouissement des deux partenaires. Mais il est vrai qu’un psy ne verra que celles qui ont connu un passé douloureux, et cherchent une certaine forme de rédemption en se faisant infliger de terribles souffrances et humiliations. Il ne devrait pas rencontrer de masochistes parfaitement épanouis, ceux-là n’éprouvent aucun besoin de consulter.

   Deux petites remarques pour terminer :
   J’ai été étonnée du faible emploi du préservatif ! Ce ne sont que des flots de sperme se déversant en permanence, même entre inconnus parfois ^^  
   Les notes de bas de page et les introductions de celui qui a mis en forme les notes du psy ne m’ont pas trop plu. Il nous donne son avis, suppose que certains témoignages inventés par exemple… je n’ai pas accroché à ce procédé.  

   (un encadré m’a amusée à la fin du livre. On est en 2004, on se situe à un tournant : on donne déjà son adresse mail, mais on invite les lecteurs à écrire pour demander un catalogue papier…. 2004, il y a une éternité ; on était encore entre deux eaux, entre le monde réel et le monde virtuel).  
   En conclusion un livre fort, prenant, pour comprendre une certaine forme de masochisme autodestructeur, lié à une culpabilité imaginaire, souvent fondée sur des faits très anciens, et qui ne guérit pas.
 
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4 commentaires

  1. F de V a écrit :

    Bonjour Clarissa, Compte-rendu de lecture très intéressant qui m’a donné envie de me pencher sur ce livre que je ne connaissais pas;
    Dans le même registre, avez-vous lu « Cérémonie de femmes » de Catherine Robbe-Grillet ? Au plaisir de vous lire; F de V

    1. Clarissa a écrit :

      Oui, j’ai beaucoup aimé, vraiment… Elle a mis en scène de magnifiques séances ! Troublantes, et pleine d’imagination… Je le relirai un jour ! J’avais fait un article à l’époque : https://www.clarissariviere.com/archives/2019/07/08/37486282.html ce n’était pas un retour très détaillé, seulement quelques extraits…

  2. Clarissa a écrit :

    Oui, j’en ai bien conscience ! Je m’y suis reprise à plusieurs fois pour cause d’interruptions variées et familiales, d’où les répétitions, etc… J’aurais dû la retravailler avant de la publier ! Mais je suis loin de mon ordi ces temps-ci, j’ai renoncé, et posté « en l’état » ce retour écrit avec les « moyens du bord » ^^

  3. Perrotte Guillau a écrit :

    Critique touffue

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