Jeudi dernier, je suis allée au vernissage de l’exposition « Je suis mon corps, je suis ma mémoire », organisée par Action hybride
» Le corps, objet d’art, avec ses marques, ses cicatrices, les souvenirs des enfants portés, des accidents, des régimes, les marques de l’âge.
Le corps magnifié par des photographes, des artistes, le corps mémoires d’une vie «
J’ai aimé les œuvres présentées, les photographies, sculptures, dessins, autour du corps marqué, blessé, réparé ; tous différents et beaux. Les corps photographiés comme des bustes antiques de Louise Dumont, les photographies boursouflées et trouées par le feu de Vanda Spengler, une métaphore de la passion qui nous consume peut-être, les représentations du sexe féminin en papier plié, les photographies prises à l’hôpital, les photographies et dessins cousus, pour souligner la blessure… Des œuvres qui ne laissent pas indifférent, déclenchent des émotions ; elles m’ont remuée et serré le cœur.
J’ai pensé à Hervé Guibert, photographe avant d’être écrivain, qui a mis en scène sa fin de vie en se filmant et se photographiant.
Mais ici, tous les corps se sont relevés ! Abîmés, amputés, marqués de cicatrices, mais bien vivants…
Une mention spéciale à la très belle performance d’Emmanuel Lacoste, touchante, intime ; il noue une belle relation avec une jeune femme, en cousant sa main sur son cœur.
Vous pouvez visiter l’exposition jusqu’au 9 février.
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Une exposition qui fait écho au dîner-débat PariS-M sur les marques auquel j’ai participé récemment, et qui m’a donné une idée d’histoire :
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Marqués à vie
Il était une fois une domina et un soumis, très attachés l’un à l’autre, même si la domina le cache de son mieux. Le soumis, lui, n’a pas ces pudeurs, il lui répète sans cesse sa joie de lui appartenir — C’est le propre des soumis, ce côté excessif.
Elle veut une relation légère, la vivre au jour le jour, sans engagement ; il veut une relation pour toujours, se donner entièrement, renoncer à tout ce qui n’est pas elle. Le temps passe, semble lui donner raison, puisqu’elle le garde auprès d’elle, envers et contre tout.
C’était une idée en l’air, un fantasme, c’est désormais un projet : se faire tatouer chacun le symbole de leur relation. Ils caressent l’idée pendant des semaines, hésitent ; elle surtout. Lui se sent prêt, il veut bien tout faire pour elle, mais elle hésite, un tatouage, c’est trop « engageant »… elle ne veut rien de définitif entre eux, elle veut le choisir chaque jour. Elle reconnaît que ce serait beau pourtant, ce symbole, inscrit à jamais sur leurs peaux, un souvenir de leur histoire quand elle s’achèvera, un dessin à regarder quand ils se manquent, une preuve d’attachement… Mais quel symbole choisir ? Parfois, elle gribouille des dessins, les chiffonne, repoussant l’idée de toutes ses forces, avant d’y penser à nouveau, irrésistiblement.
Le destin, lassé de ses tergiversations, profita un jour de leur distraction : une voiture les renversa pendant qu’ils s’embrassaient, bouches soudées. Ils furent brusquement projetés du paradis vers l’enfer. Ils gardèrent des cicatrices sur leurs genoux, leurs coudes, des marques qu’ils regardent souvent.
Elles s’effacent peu à peu, et la dominatrice remue des pensées morbides : quand leurs cicatrices auront disparu, ce sera la fin de leur histoire, ils se sépareront, ne se verront plus. Lui secoue la tête, rit de ses superstitions pour les dissiper. Et puis, aucune chance qu’elles ne s’effacent, elles ont l’air installées pour toujours, il les grattera s’il le faut, rouvrira ses plaies ! Sa maîtresse lève les yeux au ciel, faussement agacée, émue en secret.
Elle tient à la dernière cicatrice qui lui reste, sur son genou, une cicatrice, en forme de cœur, qui s’estompe et pâlit peu à peu, tente de se confondre, sans y parvenir tout à fait encore.
Cet affadissement progressif, ce processus de réparation de la peau, la contrarie.
La question du tatouage se pose à nouveau : redessiner les contours de cette cicatrice, l’inscrire à jamais dans son corps, lutter contre l’usure du temps.
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Je note aussi ici d’autres idées, pour m’en souvenir : (ça devient le bazar ce blog ^^)
– Un homme a le corps couvert de cicatrices. Chacune raconte une histoire, il explique à son amante ce qui s’est passé, comment il s’en est sorti, avec une peau neuve un peu différente, qui garde le souvenir de ses mésaventures. Une histoire par cicatrice, avec en fil rouge l’histoire de leur amour qui se construit peu à peu…
– Ou bien l’homme serait couvert de tatouages, de marques volontaires. Il lui en expliquerait la symbolique mystérieuse, et chaque motif donnerait lieu à une nouvelle fantastique. Avec, toujours en fil rouge, leur histoire d’amour qui verse peu à peu vers le fantastique à mesure que des secrets sont révélés…
– Un homme ou une femme transformiste, qui se perd dans ses multiples personnalités, avec chacune qui suit ses désirs, vit sa propre histoire ; forcément, des conflits surviennent…
(J’aime ceux qui jouent avec leur corps, en font une œuvre d’art ! Il n’est pas nécessaire de se marquer définitivement, se tatouer : des modèles se transforment par le maquillage, les costumes, sont transportées dans des univers oniriques, merveilleux grâce au talent des photographes ; des performers changent de look, de genre, se griment, se métamorphosent, deviennent un autre ou une autre, le temps d’une soirée de cabaret… )
Photos : Flyer de l’exposition, Emmanuel Lacoste, Vanda Spengler
6 commentaires
Merci Djamel ! Ton retour me fait très plaisir
Oh je suis contente ! C’est un écrivain que j’aime beaucoup, j’adore son style… ses livres sont poignants, durs, mais ne versent jamais dans le « drama » et l’apitoiement de lui-même…
Merci !
Merci de ce nouvel article tres interessant. Je decouvre Hervé Guibert grâce à vous. Merci !
bjr , quelle merveille , bon we…
Très belle écris Vos mots me transporter au fur et à mesure La sensation de vivre se récit être au coeur de l’histoire
Un beau moment