Le mois de juin, c’est le mois des mariages, des baptêmes et des communions ; autant d’occasions de retourner à l’église, d’entretenir des pensées coupables, et d’être frappée, une fois de plus, par les liens entre la religion et le BDSM.
Ainsi, le fétichisme des catholiques pour cet homme nu, torturé et crucifié, m’a toujours interpellée. Autrefois, il figurait souvent au-dessus du lit des époux, pour les inspirer sans doute. A présent, il se cantonne aux églises, ou se glisse dans nos poches, pour être trituré tout à loisir.
Voici un petit conte irrévérencieux et iconoclaste pour creuser le sujet !
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Tous les soirs, les sœurs se réunissaient pour dire le chapelet. Une heure toutes ensemble, mais une heure solitaire aussi, chacune abîmée dans sa prière et sa relation avec Dieu. On n’entendait que les murmures de celles qui préféraient le réciter à haute voix, des marmonnements incompréhensibles qui se recouvraient et formaient une langue mystérieuse, psalmodiée avec ferveur.
Sœur Marie du cœur aimé de Jésus aimait par-dessus la toute première prière du chapelet, Le credo, car c’était la plus longue, et pendant tout ce temps elle tenait entre ses doigts la petite croix de bois avec l’effigie en argent du christ nu et crucifié. Elle le caressait, le palpait, le tripotait, insistant sur ses blessures… elle connaissait son mini corps de métal par cœur. Elle versait quelques larmes sur son martyre, son cœur se serrait, elle en éprouvait un désir trouble, une sorte de plaisir suave, doux-amer, dans lequel elle se complaisait. Bientôt, il fallait quitter la croix, poursuivre le chapelet, grain par grain, enchaîner dix Je vous salue Marie, et puis un Notre père, et recommencer. La litanie des prières répétées à l’infini la plongeait dans une sorte de transe sacrée. Sœur Marie du cœur aimé de Jésus perdait rapidement le compte des prières, elle n’égrenait plus les perles et ne savait plus où elle en était. Ses doigts étaient revenus tout seuls sur la petite croix ; elle la caressait éperdument, de plus en plus émue.
Peu à peu, les paroles du Notre père et du Je vous salue Marie s’effaçaient, remplacés par ses fantasmes autour des supplices endurés par le christ, parfois les Saints aussi, pour changer. La fin du chapelet la surprenait, elle sursautait, tirée de ses rêveries, et rejoignait sa cellule comme une somnambule. Elle s’endormait en baisant la croix avec ferveur, le petit christ disparaissait entièrement dans sa bouche ; il était si petit !
Il ne lui suffit plus, elle en voulait un qui soit digne de son amour sans bornes. Lors des offices, elle se mit à lorgner du côté du christ grandeur nature qui trônait derrière l’autel. Oh, comme elle aurait voulu se presser contre lui, partager son épreuve ! Il y avait peut-être un moyen… La rusée religieuse attendit le milieu de la nuit pour se relever. Elle rejoignit son christ munie d’un escabeau et de quelques outils, et sans penser aux conséquences, toute à son obsession, le détacha de sa croix, après quelques coups de marteaux bien placés. Elle se surprit à penser qu’elle lui infligeait de nouveaux coups, participant à sa façon à la passion du Christ. Elle défaillit, il était temps de le libérer ce pauvre christ qui souffrait depuis des années au fond de leur église et de le presser contre son sein.
Elle l’emporta dans ses bras et s’endormit le sourire aux lèvres, serrant contre elle le corps dur et glacé de son adoré.
Elle ne se réveilla pas malgré les cloches sonnant matines ; la fatigue sans doute. La supérieure s’inquiéta et envoya une novice vérifier si elle allait bien. La jouvencelle hurla bientôt à plein poumons, alertant tout le couvent. Toutes accoururent, en relevant leurs jupes de leurs deux mains ; enfin il se passait quelque chose ! Elles s’arrêtèrent, saisies, devant cellule de Sœur Marie du cœur aimé de Jésus : elle dormait paisiblement, le sourire aux lèvres, enlaçant le christ en croix de l’église.
La supérieure jugea que sa dévotion allait un peu trop loin, elle remercia Sœur Marie du cœur aimé de Jésus qui dût quitter la communauté avec son maigre bagage, en larmes ; elle n’avait pu convaincre sa supérieure de lui laisser le christ.
Elle se consola vite. Elle découvrit par hasard qu’il existait des soirées où l’on pouvait mettre des garçons en croix et les torturer à sa guise ; ils n’attendaient que ça. Il suffisait d’utiliser une croix de Saint-André, pour éviter l’enfer éternel sans doute, et l’on pouvait revivre à l’envi la passion du christ avec de jeunes éphèbes sans cesse renouvelés. Ils se succédaient sans relâche entre ses mains, impatients de se sacrifier. Ils se laissaient percer les têtons, égratigner, fouetter, lacérer, et semblaient atteindre une sorte d’extase sacrée que n’aurait pas reniée le créateur. Elle se sentait prête à la leur offrir encore et encore, par de subtiles souffrances de toutes sortes, et se dévouait à la tâche nuits après nuits. Par un curieux effet d’écho, elle en éprouvait un plaisir mystique, le plaisir sadique d’infliger des souffrances, toute culpabilité envolée, puisque c’était pour leur bien, et qu’ils en redemandaient, visiblement enchantés d’être flagellés ! Elle leur en offrait au-delà de leurs espérances, et se repaissait de leurs plaintes, de leurs gémissements, léchait leurs larmes, leurs plaies, s’enivrait de leurs yeux révulsés au moment de l’extase.
Un violent orgasme venu de nulle part la secouait. Elle avait vœu de chasteté, elle ne pouvait se toucher, mais son plaisir trouvait un chemin et sa jouissance explosait ; elle convulsait, à la seule vue de ces corps souffrants et si beaux.
Photo : collection personnelle